B. DU COTE DE CHEZ LES ACTEURS
LABORATOIRE TEMPOREL GRANDEUR NATURE:
LE CALENDRIER REPUBLICAIN
"Pour des raisons suffisamment évidentes, chaque génération traite la vie qu'elle trouve à son arrivée dans le monde comme une donnée définitive, hors les quelques détails à la transformation desquels elle est intéressée. C'est une conception avantageuse, mais fausse. A tout instant, le monde pourrait être transformé dans toutes les directions, ou du moins dans n'importe laquelle; il a ça, pour ainsi dire, dans le sang. C'est pourquoi il serait original d'essayer de se comporter non pas comme un homme défini dans un monde défini où il n'y a plus, pourrait-on dire, qu'un ou deux boutons à déplacer (ce qu'on appelle l'évolution), mais, dès le commencement, comme un homme né pour le changement dans un monde crée pour changer...", Robert Musil, L'homme sans qualités()
Appelons cet état d'esprit "possibiliste". Il a deux versants: "critique" et "utopique". Ulrich, l'Homme sans qualités, n'est certes pas un révolutionnaire dans le sens de 1789, de 1793 ou de 1917. Il est pourtant difficile de mieux définir l'esprit qui animait les révolutionnaires de l'an II, à l'instar de Robespierre, qui leur dit solennellement: "Citoyens, c'est l'imagination qui pose ordinairement les bornes du possible et de l'impossible. Mais quand on a la volonté de bien faire, il faut avoir le courage de franchir ces bornes"() - "L'imagination au pouvoir!" ont crié les étudiants en 1968. Or s'il est acquis que, virtuellement, le monde a la transformation "dans le sang", c'est plutôt la reproduction - l'inertie - qui domine son histoire. Rares sont les moments historiques qui "se donnent les moyens" d'exploiter cette virtualité. Encore plus rares sont les moments qui s'offrent au regard de l'historien dans un possibilisme à grande échelle - documents à l'appui. Les révolutions en général, la Révolution française en particulier, appartiennent à ces moments privilégiés.
Pour ne pas se cantonner dans la politique des "deux boutons", Robert Musil préconise (et les révolutionnaires pratiquent) un traitement de choc à la réalité existante, sa "suspension" même: "S'il y a un sens du réel, et personne ne doutera qu'il ait son droit à l'existence, il doit bien y avoir quelque chose que l'on pourrait appeler le sens du possible. L'homme qui en est doué, par exemple, ne dira pas: ici s'est produite, va se produire, doit se produire telle ou telle chose; mais il imaginera: ici pourrait, devrait se produire telle ou telle chose; et quand on lui dit d'une chose qu'elle est comme elle est, il pense qu'elle pourrait aussi bien être autre. Ainsi pourrait-on définir simplement le sens du possible comme la faculté de penser tout ce qui pourrait être , et de ne pas accorder plus d'importance à ce qui est qu'à ce qui n'est pas"(). Cette mise entre parenthèses de la réalité ne découle pas, ou pas uniquement, de la licentia poetica du romancier, mais surtout d'une autre idée du réalisme, possibiliste celle-là. Certes, son affirmation, selon laquelle il ne faut pas "accorder plus d'importance à ce qui est qu'à ce qui n'est pas [mais qui aurait pu être]", relève plutôt de la rhétorique, elle est surtout tout-à-fait inacceptable par l'historien. Pour qui voit comme moi dans les possibles une partie intégrante, constitutive même de la réalité, elle exprime néanmoins la critique de ce qu'on pourrait appeler l'"impérialisme du réalisé", processus qui consiste à accorder de l'importance uniquement à ce qui est. Ainsi, et pour limiter ce problème aux seuls "vainqueurs" et "vaincus", Ulrich dit à Arnheim: "La réalisation m'intéressait toujours beaucoup moins que l'irréalisé, et je ne pense pas seulement de l'avenir, mais au passé, aux occasions perdues"(). La "suspension" de la réalité est donc conçue ici comme un instrument de connaissance, si on veut, qui permet d'entrevoir, par delà du réalisé, les possibles. Et, dans un deuxième temps (logique plus que chronologique), la "suspension" d'une réalité révèle, à celui qui l'effectue, la richesse et l'hétérogénéité des possibilités dans la mise en place d'une nouvelle réalité. Nous revoici devant le thème du choix - et aussi de son revers: l'impossibilité, intellectuelle ou affective, de choisir.
L'utopie révolutionnaire part du refus de l'ordre ancien; le choix des hommes, relayé par leur détermination, devient alors le moyen d'ériger un nouvel ordre. Il est à cet égard significatif que le courant historiographique contre-révolutionnaire adopte la position inverse: Fustel de Coulanges: "Les institutions politiques ne sont jamais l'oeuvre de la volonté d'un homme; la volonté même de tout un peuple ne suffit pas à les créer"(). "Avec l'idée d'homme nouveau, écrit Mona Ozouf, on touche à un rêve central de la Révolution française [...] Un rêve, mais pas seulement un rêve: vers lui ont convergé mille institutions et créations: écoles nouvelles, fêtes, espace nouveau des départements, temps nouveau du calendrier, noms de lieux rebaptisés. Sans compter ces dispositions plus modestes, à première vue plus indifférentes, comme le tutoiement ou le port de la cocarde"().
Une des originalités marquantes de la Révolution française réside dans sa conception systémique de signification. Selon cette conception, un signe n'a pas de sens "en tant que tel", il ne le doit même pas à son "contexte", comme on le dit trop souvent, mais au système global auquel il appartient(). Si l'idée est loin d'être neuve, l'innovation de la Révolution réside dans son application volontariste, et à l'échelle d'une société entière - dans sa "sémiologie sociale". Ce qu'on reproche aux signes remplacés par la Révolution: au "vous" (devenu "tu"), à la rue "Honoré-Chevalier" (devenue "Honoré-Egalité"), au mois de "février" (que partagent "Pluviôse" et "Ventôse"), à la province du "Dauphiné" (paratagés entre les départements de l'Isère, de la Drôme et des Hautes-Alpes), au ci-devant "Leduc" (devenu citoyen "La-Montagne") - n'est pas leurs qualités "intrinsèques" (une sorte de non-sens dans la pensée systémique), mais leur marquage par l'Ancien Régime. Ceci explique la méfiance des révolutionnaires même envers les "précurseurs" de la Révolution, Voltaire et Rousseau en premiers, quasi-absents, par exemple, du système dénominatif républicain des noms de rues et communes, tout comme des programmes scolaires().Dans le cas du calendrier républicain, la défiance de l'Histoire, celle de la monarchie d'abord, mais aussi celle de la Révolution elle-même, s'est traduite par la préférence d'une nomenclature "naturelle" à toute référence à des hommes, événements, valeurs(!). On y reviendra.
Une philosophie systémique de l'imaginaire social semble exclure toute tentation "réformiste" ou "évolutionniste" (la politique des "deux boutons"): "Toutes références balayées, écrit Mona Ozouf, c'est donc une extraordinaire aventure que de faire un peuple neuf [...] On ne pourra pas réformer [...] A qui souhaite régénérer, il ne suffira pas de ravauder. Mais il faudra ouvrir un cahier neuf..."(). Il est vrai qu'en théorie, du moins, la même logique aurait pu cautionner une pratique diamétralement opposée: un élément transposé d'un système à un autre n'étant plus le "même" (la reproduction existe-t-elle?), pourquoi donc se priver de son réemploi? C'est ainsi qu'on pourrait analyser, de façon quelque peu anachronique, les premiers rapports entre christianisme et judaïsme. Mais le réemploi est souvent source d'amalgame et d'ambiguïté, l'histoire de l'Eglise primitive en témoigne.
La politique révolutionnaire de la "table rase" du passé, du passé trop récent surtout, car marqué par l'Ancien Régime, avait évidemment des motivations philosophiques profondément différentes de la "suspension" de la réalité chez Robert Musil. Les conséquences "réelles" aussi n'étaient pas exactement les mêmes. Il n'empêche que pour qui s'intéresse à l'"aussi bien" en histoire - "on pourrait définir le sens du possible comme la faculté de penser tout ce qui pourrait être 'aussi bien'" (c'est Musil qui parle), - les diverses expérimentations des Constituants, et à plus forte raison des Conventionnels sont des morceaux de choix.
Prenons le nouveau découpage du territoire français: la départementalisation().Il permet de découvrir les découpages latents de l'Ancien Régime, que les découpages dominants tendaient à occulter - la "table rase" comme instrument de connaissance(). Il permet d'observer les mécanismes non-déterministes qui présidaient l'adoption du nouveau découpage - la quasi-impossibilité de choisir, alors qu'il faut choisir. La départementalisation de la France était, à ce titre, une énorme entreprise, j'allais dire "laboratoire", possibiliste. Son étude pourrait l'être davantage.
Telle est aussi la mise en place du système métrique. Witold Kula l'a magistralement démontré dans Les mesures et les hommes(): la suppression des multiples systèmes de poids et mesures de l'Ancien Régime, au nom, précisément, de leur soi-disant caractère non-systématique, permet, à l'historien, d'interroger ce "désordre", d'en dégager la logique.
Ce qui nous ramène au choix du cas "calendrier républicain". Pour rester fidèle à l'esprit de l'"aussi bien" qui commande ce texte, disons tout de suite que les autres expérimentations révolutionnaires déjà citées, auraient été tout aussi pertinentes. Mais la réforme du calendrier présentait des avantages indéniables pour le non-spécialiste de la Révolution que je suis. Elle est excellemment documentée par James Guillaume dans ces chefs-d'oeuvre d'érudition et de perspicacité que sont les six volumes des Procès-verbaux du Comité d'instruction publique de la Convention nationale(), le vade-mecum de toute étude de l'imaginaire et de la symbolique de la Révolution. Sa genèse a été étudiée par Georges Villain() et George G. Andrews(); alors qu'Eviatar Zerubavel(), Bronislaw Baczko() et par Mona Ozouf() en ont présenté des analyses fines et complémentaires. Je me suis appuyé sur ces travaux, y ai puisé informations et analyses, tout en me limitant à l'aspect "possibiliste" de la réforme.
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Au départ, ce chapitre a été conçu pour traiter du problème de la "gestion du possible": comment, après avoir fait "table rase" du passé, se met-on à gérer le possibilisme apparemment total? Dans la perspective d'une histoire possibiliste, c'est, de loin, la question majeure. Mais en travaillant, je me suis rendu compte qu'elle est extrêmement difficile à saisir. Ce n'est en effet que très rarement qu'on dispose de matériau nous renseignant sur le choix en train de se faire; et encore, ce matériau est toujours sujet à grande précaution. C'est plutôt l'étape ultérieure, à savoir le compte-rendu rétrospectif du processus de choix, que les sources nous permettent d'observer. Ceci ne nous dispense évidemment pas de poser et de reposer la question de la gestion du possible, si impalpable soit-elle. Ici, on a tout-de-même préféré se limiter à la "gestion du choix": comment, après avoir fait un choix entre divers possibles, rende-on compte de ce processus; ou, pour anticiper, comment on réécrit une situation possibiliste en de termes, sinon déterministes, du moins fortement probabilistes, voire nécessaires. Ce seront les quatre notions qui sous-tendront notre démonstration. Celle-ci s'appuye forcément sur une analyse textuelle - en opposition avec "contextuelle"() - des rapports, projets de lois et textes de lois adoptées autour du calendrier républicain; en premier lieu du document récapitulatif du 24 novembre 1793, intitulé "Des motifs qui ont déterminé le projet". Ces textes étant quasi-inaccessibles, on ne pouvait éviter de les citer assez longuement, analyse textuelle oblige.
La réforme calendaire: résumé d'un glissement()
L'idée qu'"à temps nouveaux, ère nouvelle", revient à Silvain MARECHAL, dont l'Almanach des Honnêtes Gens de 1788 date de "l'an premier de la Raison". Dès 179O, divers organes de presse prennent l'initiative de dater leurs numéros en "années de la Liberté"., le premier étant l'hebdomadaire de Prudhomme, Les Révolutions de Paris, dont le numéro du 2 janvier 1790 annonce à sa tête, "Seconde année de la liberté française". Le Moniteur universel franchit un nouveau pas dans son numéro du 14 juillet 1790, qui date aussi du "Ier jour de la 2de Année de la Liberté". L'Assemblée législative ne suit qu'en partie, qui ordonne, le 2 janvier 1792, que tout texte officiel soit daté aussi en ère de la Liberté, mais qui préfère, pour des raisons pratiques, le 1er janvier au 14 juillet comme premier jour de l'année. Le 22 septembre 1792, la Convention nationale décide que depuis la veille, jour de l'abolition de la royauté, tout texte officiel sera daté en ère de la République française. La première année de la République française remplace donc la quatrième année de la Liberté. Le 20 décembre 1792, la Convention demande au Comité d'Instruction publique d'examiner "les avantages que doit procurer à la France l'accord de son ère avec l'ère vulgaire". Ce dernier désigne la Commission "Romme", car présidé par Charles-Gilbert Romme(1750-1795), mathématicien, pédagogue, Montagnard; il est devenu le maître-d'oeuvre de l'entreprise.
Jusqu'ici, il n'aura été question que d'ère et de commencement de l'année républicaine. Mais la "commande" du Comité va bien au-delà de celle que lui a faite la Convention, invitant Romme et ses collègues de proposer une "réforme du calendrier" (tout comme la Commission dite "Arbogast" est invitée, le même jour, à proposer une réforme des poids et mesures). Deux semaines plus tard, pourtant (2 janvier 1793), la Convention revient sur la décision du 22 septembre en décrétant que "la seconde année de la République datera du 1er janvier 1793". Pas pour longtemps. Le 18 septembre 1793, coup de théâtre, pour nous, du moins, qui ne disposons que des textes officiels. Ce jour-là, Romme prend la parole à la Convention et déclare: "Citoyens, vous avez chargé le Comité d'Instruction publique de travailler à un calendrier nouveau qui convînt à une République [ce qui est complètement inexact, on vient de le voir]; ce travail est fait". Le décalage entre mission et réalisation n'a pas échappé aux conventionnels, comme en témoigne l'intervention de Bentabole, le 5 octobre, lors de la discussion sur le calendrier: "Bentabole, rapporte le Journal des débats et des décrets, pense que la Convention nationale, en fixant l'ère française, a fait assez, et qu'elle doit s'arrêter. Il trouve inutile et même dangereux de changer les subdivisions du temps et de leur dénomination" (L'argument de Bentabole n'est d'ailleurs pas dépourvu d'intérêt: "Lorsque Mahomet, conquérant et législateur, donna une autre ère aux peuples soumis à sa puissance, son but, dit-il, fut de les séparer du reste des hommes, et de leur inspirer un respect superstitieux pour le culte qu'il prescrivait. Notre but est contraire à celui de cet imposteur; nous voulons unir tous les peuples par la fraternité: ainsi, loin de rompre nos communications avec eux, nous devons, s'il se peut, les multiplier encore"; p.585) (). Mais "la Convention passe à l'ordre du jour". La réforme a donc été adoptée le 5 octobre, sauf la nomenclature qui devait attendre le 24 octobre; le décret unifié date du 5 frimaire an II (24 novembre 1793).
Pour (di)gérer un possible, il faut définir un impossible
De Prudhomme à Romme, le travail révolutionnaire sur le temps a changé de nature. D'une question quasi-technique de datation, on est passé à la gestion quotidienne du temps; d'un débat autour de l'ère et du commencement de l'année, à une refonte complète de toutes les unités temporelles; de "deux boutons à déplacer" à la "table rase". Bref, la Révolution a basculé d'un possibilisme timoré à un possibilisme téméraire.
Paradoxalement, l'élargissement radical du champ du possible a eu pour corrélat la création d'un impossible tout aussi radical. Dans les premières étapes de la réforme, dates en ère chrétienne et dates en "ère de la Liberté" pouvaient cohabiter - il s'agissait même de les accorder. Avec la radicalisation de l'an II, cette option a disparu. On peut donc dire que le champ du possible de la Commission Romme était délimité par l'Ancien Régime: tout lui était a priori possible, sauf ce qui était déjà.
Dans une perspective possibiliste, il nous appartient à reconstituer, pour un moment historique donné, le jeu du possible et de l'impossible - impossible historique s'entend. Il existe en effet des impossibles qu'on peut qualifier d'"universels". Dans le cas qui nous intéresse ici, ces impossibles ("invivables", "inconcevables") sont deux: l'absence de tout découpage du temps et l'absence de consensus collectif sur un type de découpage. Toutes les sociétés humaines connues pratiquent un quelconque calendrier que tous les membres acceptent(). Il me paraît de ce fait urgent, dans ce texte plus qu'ailleurs, d'enlever au scénario révolutionnaire toute connotation mécaniste. L'histoire nous fournit en effet de nombreux exemples de "cohabitation" entre types de découpage et d'organisation du temps qui paraissent, à première vue, totalement contradictoires. Ainsi, Nancy M. FARRIS affirme que la société Maya vivait le présent et pensait le passé à travers un mélange de temps linéaire et de temps cyclique: "La coexistence de conceptions linéaire et cyclique du temps et du passé n'est nullement confinée au Maya, elle pourrait même être la norme."()
Autrement conflictuelle aurait dû être l'hétérogénéité de la datation du monde chrétien, telle qu'elle est attestée dans les chartes médiévales (voir supra, "esquisse d'une histoire de l'ère chrétienne"); y côtoyaient en effet années consulaires, années olympiques, années papales, années dynastiques, indiction, et plus tard l'ère de l'Incarnation. A la tension conceptuelle entre système linéaire (ère de l'Incarnation), système cyclique (indiction) et système mixte (Olympiades), aurait dû s'ajouter une tension idéologique entre pensée païenne et pensée chrétienne. Or il semble que les contemporains ne les ont jamais ressenties.
Plus proche de nous, la société israélienne vit depuis une soixantaine d'années au rythme à la fois du calendrier grégorien et du calendrier juif, de l'ère de l'Incarnation du Christ et de celle de la Création du monde, sans que cela pose de problèmes intellectuels ou idéologiques. Non-problématique semble même être à cet égard la situation des citoyens musulmans d'Israël, dont le temps est triplement ordonné (Hégire, Création, Incarnation - Vendredi, Samedi, Dimanche)!
Contrairement à la société Maya, à la Chrétienté médiévale, et dans une moindre mesure à la société israélienne, la Révolution française obéissait à une logique volontariste. Quand, dans sa phase conventionnelle, elle conjuguait ce volontarisme avec la pensée systémique dans sa version radicale, la coexistence pacifique entre l'ancien et le nouveau est devenue l'impossible d'où découlait tout le reste.
LE POSSIBLE ASPIRE AU NECESSAIRE POUR ECHAPPER A L'ARBITRAIRE
"A tout instant, le monde pourrait être transformé dans toutes les directions, ou du moins dans n'importe laquelle", dixit MUSIL. Il n'en est évidemment rien. Une situation possibiliste n'est praticable qu'à condition: a. qu'on en dessine les contours, c'est-à-dire qu'on en définisse un impossible; et b. qu'on en établisse des règles de jeu. C'est précisément ce qu'essaye de faire la Commission Romme dans un texte, significativement intitulé "Des motifs qui ont déterminé ce décret [du calendrier républicain]": "La raison veut que nous suivions la nature, plutôt que de nous traîner servilement sur les traces erronées de nos prédécesseurs"(p.880). Voici condensées, en une seule phrase, et en une opposition qui se veut tranchée, les catégories qui commandent le raisonnement révolutionnaire: d'un côté, la Raison et la Nature, de l'autre côté, la tradition récente, l'erreur, l'arbitraire. "Arbitraire" renvoie à deux significations qui se complètent: "qui n'est pas lié par l'observation des règles"; "absolu, despotique, tyrannique". C'est donc le désordre, l'incohérence du (non-)système ancien, résultats inéluctables du règne de l'idiosyncrasie, qui sont ici dénoncés. Pour employer une terminologie linguistique/ littéraire, les divers éléments qui le constituent ne sont pas motivés par une logique d'ensemble ().
Or jamais l'arbitraire n'est plus visible qu'après une opération de "table rase". Une lecture attentive des textes sur le calendrier républicain nous apprend que la condition possibiliste est difficilement vivable à long terme. Vu sous l'angle de la motivation, l'objectif de ces textes peut être ainsi résumé: tout possible choisi doit être ramené à la Raison et/ou à la Nature, tout possible écarté, à l'arbitraire (dont les configurations, on le verra, sont diverses: tradition, superstition, religion, etc.). La gestion du choix, telle qu'elle s'exprime dans les textes de la Commission Romme, consiste en une sorte de mise en scène d'un possibilisme a priori ouvert, mais d'où un possible doit sortir nécessaire, les autres, impossibles, ou du moins peu probables.
En cela, leur stratégie discursive n'est pas sans rappeler la pratique consacrée du roman policier. Celui-ci obéit à une règle d'or établie par Edgar Allen Poe: on doit dire la vérité, et rien que la vérité. Un auteur qui fournit de faux indices se met ipso facto hors du genre. Rappelons le tollé qu'a soulevée le célèbre roman d'Agatha Christie, The Murder of Roger Ackroyd (1926), où l'assassin est le narrateur, ce qui fut considéré comme un abus de confiance par une grande partie des lecteurs. On ne doit pourtant pas, ni ne peut-on évidemment dire toute la vérité, ce qui permet de rendre tout personnage le coupable potentiel. Jusqu'au dénouement, donc, le roman est d'une ouverture possibiliste pure. Mais c'est une pseudo-ouverture. Car le tour de force du dénouement consiste, précisément, à établir et l'inévitable culpabilité du véritable assassin, et l'impossible culpabilité de tous les autres suspects. C'est aussi la logique qui préside de nombreux romans de science-fiction, ceux d'Isaac Asimov en particulier. Ici comme dans les textes de la Commission Romme, la réécriture de la situation possibiliste en termes nécessaires se fait à l'aide du vraisemblable et du suggestif.
"De la longueur de l'année"
Du calendrier ancien, la Commission ne garde qu'une unité: l'année solaire de 365 jours, 5 heures, 48 minutes et 49 secondes. Pour ce faire, elle invoque la Nature: "la révolution de la terre autour du soleil [...] seule règle les saisons et le rapport des jours aux nuits"(p.878). Par "seule", il faut comprendre l'exclusion de l'année lunaire, de 354 jours, qui a pourtant été à la base de bon nombre de" calendriers. Voici un premier rappel, timide, de la manipulabilité de la "raison naturelle": tout se passe comme si l'année lunaire, pratiquée par les Musulmans jusqu'à nos jours, n'était pas naturelle, ou l'était moins.
Est-ce le signe qu'on peut tout dire au nom de la Nature? Certes non. Le caractère extrêmement restreint du choix: année solaire ou (/et) année lunaire, - en est une preuve; le fait que la tendance des civilisations diverses et non-communiquantes soit au passage du calendrier lunaire au calendrier solaire et pas (jamais?) l'inverse en est une autre(). Si l'appel à la Nature est souvent instrumental, ici comme ailleurs, il n'en découle pas que cet appel soit forcément arbitraire. On y reviendra.
"De la division et de la sous-division de l'année"
L'année solaire, et donc la journée solaire, sont les invariants du calendrier républicain (comme du grégorien). Une organisation du temps ne peut évidemment pas s'arrêter là. "L'esprit a besoin de plusieurs unités intermédiaires qui lui servent à la fois d'échelle et de repos"(p.881). Or si les deux unités de bases semblaient s'imposer, il en était tout autrement des unités intermédiaires. Comment diviser puis sous-diviser 365 jours (et 1/4)? Ici, les enjeux du possible, de l'hiérarchie de l'arbitraire, et de la motivation, prennent pleinement leur signification.
Selon sa propre logique, qui calquait l'année sur les relations entre soleil et saisons, la Commission aurait dû commencé par la division de l'année en quatre. C'est pourtant la division traditionnelle en douze mois qui l'a emporté - division calquée sur le mouvement de la lune. Rejetée dans un premier temps, celle-ci réintègre donc le système dans ce deuxième temps. La contradiction a été relevée par un Conventionnel anonyme qui "pense qu'il serait plus simple et plus naturel de suivre en tout la marche du soleil, et de diviser comme lui l'année en quatre parties égales." Réplique de Romme: "Le Comité a bien cherché à prendre pour base les mouvements célestes; mais ils ne peuvent désigner que la division et la successibilité(sic) des saisons et la longueur de l'année. Les subdivisions sont absolument abandonnées au calcul, et nous croyons avoir trouvé ce qu'il y a de plus exact"(p.585). Il lui restait à mettre en scène l'hésitation entre ces deux possibles - notons, une fois encore, le choix restreint, - voués l'un au nécessaire, l'autre à l'impossible.
Le caractère a posteriori de la démonstration est évidente. Dans le "Rapport sur l'ère de la République", du 20 septembre, la Commission s'est contentée d'un seul paragraphe, qui dit, en gros, que "tous les peuples connus, excepté peut-être les Romains, ont divisé l'année en 12 mois [...] Cette division est commode et ne peut être combattue solidement"(p.441). Point de motivation donc. Deux mois plus tard, dans le décret définitif, la contradiction, relevée publiquement, ne pouvait plus être escamotée.
La première chose à faire était de ramener la lune aux débats: "La succession de la nuit et du jour [soleil], les phases de la lune et les saisons [soleil], présentent à l'homme des divisions naturelles du temps. Le retour d'une même phase de la lune marque une lunaison ou un mois lunaire; le retour d'une même saison marque l'année naturelle"(p.880).
Notre texte établit ainsi une équivalence dans l'ordre de la Nature entre la saison et le mois.Il devait à présent prouver les avantages de celui-ci sur celle-là. Pour ce faire, il isole deux critères, et deux critères seulement, d'évaluation: durée et égalité: "Les quatre saisons, considérées comme divisions naturelles de l'année, présenteraient trop d'inconvénients pour les usages domestiques et civils, à raison de leur inégalité et de leur longueur"(p.881). or le paragraphe précédent a déjà insisté sur l'inégalité des saisons: le printemps et l'été durent 93 jours, l'automne, 9O jours et l'hiver, 89 jours,- alors que les phases lunaires se succèdent dans une cadence régulière et trois fois plus rapide de 29 jours, 12 heures et demie. Mais même en admettant la seule pertinence de ces deux critères, le choix n'est pas évident pour autant, à cause de la compatibilité avec l'année: "Les douze lunaisons font 354 jours, c'est-à-dire onze jours de moins que l'année ordinaire[!]. La lune ne nous offre donc pas, par ses mouvements, une division exacte de l'année"(p.881). Résultat: "match nul" entre saison et mois. Or il faut choisir(). On passe alors au suggestif: "[La lune] est trop utile au marin dont elle dirige souvent la marche, au voyageur, à l'homme laborieux des champs, et surtout à l'habitant du nord, pour qui elle supplée au jour dans les longues nuits d'hiver, pour ne pas appeler toute leur attention sur ses mouvements. Le mois est donc une division utile: aussi tous les peuples connus l'ont-ils adoptés"(p.881). Ainsi, après un assez long détour, nous voici à la case départ, en quelque sorte, c'est-à-dire au rapport du 2O septembre. Il s'agit d'une tactique souvent utilisée dans la rhétorique révolutionnaire: quand la Raison et la Nature ne permettent pas de trancher, on fait appel à d'autres registres, ici la tradition et l'utilité, qui sont pourtant en contradiction flagrante, en première vue du moins, avec ces deux foyers principaux de légitimation. "Cette division est commode et ne peut pas être combattue solidement"(p.441): or le "commode" - c'est-à-dire les habitudes, les traditions, bref, tout ce qui résiste à l'innovation, - doit être combattu au nom de la raison naturelle. Et en premier lieu le calendrier républicain car, tous les historiens s'accordent sur ce point, le calendrier ancien ne posait aucun problème de commodité à ses usagers, bien au contraire. (En cela il se distinguait d'ailleurs nettement des systèmes de poids et mesures pré-métriques, dont les Cahiers de doléances de 1789 dénoncent à longueur de pages les abus()).
Le "Mois"
On est parti en soulignant l'originalité de la Révolution dans son application à grande échelle de la pensée systémique. On a aussi insisté sur son ambition de mettre de l'ordre, c'est-à-dire de la cohérence dans la sémiologie sociale. Or voici que les textes de la Commission Romme nous rappellent le caractère foncièrement hybride de tout ce qui est humain. L'homogénéité n'est en effet qu'un artefact, la cohérence, une réécriture. Qualifier de "pollution", d'"opportuniste" l'appel aux traditions pour combattre La tradition part d'un idéal théorique que l'observation dément. Car si on ne peut pas "jouer sur tous les tableaux", on peut jouer sur beaucoup, et contradictoires, et gagner...
Regardons, à ce titre, l'arsenal argumentaire justifiant la longueur des mois républicains. En optant pour la division "lunaire" de douze mois, notre texte n'a pas résolu le problème de la concordance année-mois pour autant. Avoir des mois de 29 jours, 12 heures et demie, voilà ce qui n'est pas concevable dans un système dont les fondements sont l'année solaire d'un côté, la journée, toujours solaire, de l'autre. Revenir à des mois qui vont de 28 à 31 jours serait en contradiction avec le critère de l'égalité, base de l'adoption de la division de douze: "Mais ce que la raison réprouve et doit faire enfin rejeter de notre calendrier, c'est l'inégalité bizarre des mois"(p.443). Le texte final va plus loin: "Jusqu'à présent nos mois ont été inégaux entre eux, et discordants avec les mouvements de la lune. L'esprit se fatigue de chercher si un mois est de trente ou de trente et un jours"(881). La solution idéale devait aboutir à des mois égaux reflétant le mouvement de la lune sans pourtant attenter à l'unité de la journée solaire. Autant dire la quadrature du cercle.
Or il faut choisir. Et le choix s'est porté sur des mois de trente jours, pour des raisons qu'on discutera sous peu. Notre texte se devait alors de prouver que ce choix respectait presque les règles qu'il s'est fixées; et, par un jeu rhétorique assez subtil, de compenser ce "presque" par des "surplus". "Pour être commode, elle [la longueur du mois] doit être toujours la même, et se rapprocher d'une lunaison, autant que le permet l'unité du jour [le "presque" dont on parlait] , qui est la plus petite qu'on puisse employer: or, 29 jours 12 heures et demie est plus près de 30 que de 29 [un faux-"surplus", évidemment], et le nombre décimal 30 promet beaucoup plus de facilité dans les calculs [un vrai "surplus", cette fois]"(p.881).
A regarder de plus près, ce raisonnement n'obéit à aucune cohérence logique. Car pourquoi insister sur les mouvements de la lune, quand de la division par trente résulte forcément un décalage toujours croissant entre le mois lunaire et le mois décimal? Il y a plus. Pour justifier leur choix, les commissionnaires n'hésitaient pas à s'appuyer sur "les Egyptiens, les plus éclairés des peuples de la haute antiquité, [qui] faisaient leurs mois égaux, chacun de trente jours, et complétaient l'année en la terminant par cinq jours épagomènes, qui n'appartenaient à aucun mois. Cette division est simple: c'est celle que la Convention a décrétée pour l'annuaire des Français"(p.881). Or cinq lignes à peine plus loin, ces mêmes Egyptiens sont accusés de tous les maux, responsables qu'ils étaient de la sous-division du mois en semaines: "la semaine, à laquelle les astrologues et les mages de l'Egypte ont attaché toutes les erreurs, toutes les combinaisons cabalistiques dont elle était susceptible"(p.881)
Il ne s'agit évidemment pas de dénoncer cette hétérogénéité, mais d'en chercher une logique (ne sommes-nous pas tous prisonniers de l'exigence de cohérence?). Celle-ci réside avant tout dans le refus du trop récent, la primauté du rationnel, la recherche obstinée d'une quelconque motivation "naturelle"(). L'optimal serait évidemment de concilier ces trois directives; et, on l'a vu, en jonglant avec les divers registres argumentaires, on y parvient tant bien que mal.
Contrairement aux apparences, il y a lieu de parler ici de cohérence; mais elle n'est ni logique, ni thématique, elle est fonctionnelle. Dans une "cohérence fonctionnelle", tous les éléments (arguments), même contradictoires, sont subordonnés à un objectif. Il ne s'agit pourtant pas d'une version de la pensée structuraliste, selon laquelle tous les éléments participent à la structure, et ceux qu'on n'arrive pas à intégrer dans ladite structure s'y intègrent sur un autre niveau(). En cela,la stratégie du texte de Romme n'est pas sans rappeler la procédure judiciaire du plaidoyer alternatif: a."mon client n'était pas sur le lieu du crime ce jour-ci" et/ou b."mon client a tiré par légitime défense" et/ou c."mon client n'était pas maître de son jugement pour les raisons X et/ou Y et/ou Z"... ce qui ne manque évidemment pas de décontenancer une audience peu avertie. Or le "client" de la Commission Romme fût le système décimal.
La décade; ou: "Supprimer le dimanche"
Car le véritable enjeu de la réforme du calendrier était ce qu'une brochure anonyme, néo-jacobine de 1797 décrivait comme "le combat sanglant entre le dimanche et le décadi"(). James GUILLAUME l'a très bien vu, qui écrit: "La convention donnait à la France ce calendrier qui, d'après un mot célèbre de Romme, avait pour but de (), et qui indiquait la volonté arrêtée, à la fois, de décimaliser la mesure du temps en la rattachant au système général des poids et mesures, et de lui donner un caractère purement civil"(p.LXXVII). Le sept fut la source du mal; le dix en sera le remède; et tout le reste est au plus instrumental, au moins, ornemental.
Le sept fut la source du mal: "La superstition a transmis jusqu'à nous, au grand scandale des siècles éclairés, cette fausse division du temps [la semaine] qui ne mesure exactement ni les lunaisons, ni les mois, ni l'année, et qui n'a pas peu servi dans tous les temps les vues ambitieuses de toutes les sectes. La fête du septième jour avait lieu chez les païens comme chez les juifs; c'était un jour de prosélytisme et d'initiation"(p.881).
Le dix en sera le remède: "La numérotation décimale, adoptée pour les poids et les mesures, ainsi que pour les monnaies de la République, à raison de ses grands avantages pour le commerce et les arts, vient s'appliquer naturellement à la division du mois. Les 30 jours qui le composent, divisés en trois parties égales, forment trois divisions de 10 jours, que nous appelons pour cette raison décade"(p.882).
Le reste est, sinon de la littérature, du moins tout-à-fait instrumental. Car avancerait-on que la décade est aussi "fausse" comme division du temps que la semaine? qu'elle ne mesure exactement ni les lunaisons, ni l'année, et que sa concordance avec le mois de 30 jours est tautologique? Le raisonnement de notre texte est déjà ailleurs: "L'annuaire d'un peuple qui reconnait la liberté des cultes doit être indépendant de toute opinion, de toute pratique religieuse, et doit présenter ce caractère de simplicité qui n'appartient qu'aux productions d'une raison éclairée"(pp.881-882).
Voici énoncée, et superbement formulée, la primauté du rationnel sur le naturel. Car pour avoir un système à la fois neutre - c'est-à-dire religieusement non-marqué - et simple, il faut faire appel à l'abstraction, bref, à ce que la Nature ne saurait fournir. Quitte à "naturaliser" l'abstrait dans un deuxième temps (ici comme ailleurs, il s'agit du temps logique, et pas forcément argumentaire; de la fabula, pas du sjuzet): "Dans les usages familiers, les cinq doigts de la main peuvent être affectés à désigner ordinalement les cinq jours de la demi-décade"(p.882). Ce souci d'ancrer le système décimal dans la Nature frôle parfois le ridicule. Ainsi, pour "justifier" la division du jour par dix "et ainsi de suite, jusqu'à la plus petite portion commensurable de la durée"(p.882 - une anticipation sur les mesures électroniques de nos jours...), le rapport du 20 septembre 1793 va jusqu'à annoncer: "On a construit quelques montres d'observation où le jour est divisé en parties décimales. Elles mesurent jusqu'au cent millième du jour [=O.864 seconde; D.M.], qui équivaut au battement du pouls d'un homme de taille moyenne, bien portant, et au pas redoublé militaire"(p.444). La Commission a d'ailleurs jugé bon de supprimer ce passage dans le texte définitif du décret.
Est-ce le signe qu'on peut tout dire au nom de la Nature? - cette question, déjà posée plus haut, mérite qu'on s'y attarde.
La mise en évidence du caractère conventionnel de toute représentation est un lieu de rencontre - devenu lieu commun - de la pensée contemporaine. La question du réalisme en art et en littérature en est le condensé, comme l'illustre le débat entre Nelson Goodman et Ernest H. Gombrich. Goodman pousse le conventionnalisme jusqu'au bout, affirmant qu'"un système littéraire ou réaliste ou naturaliste de représentation n'est que le système habituel(customary)"(). Tout en admettant le rôle de l'habitude dans l'effet réaliste, Gombrich refuse d'y voir un arbitraire total () car il existe ce que Menachem Brinker appelle le "noyau naïf du jugement réaliste"().
Revenons à la réforme calendaire. Dans plusieurs étapes de l'argument, j'ai insisté et sur la manipulation de la raison naturelle dans le choix, et sur le nombre restreint des alternatives. La bataille entre le 7 et le 10 en est un autre exemple. Arbitraire, certes, celle-ci a été une sorte de remake d'une dispute déjà fort ancienne, qui remonte au moyen- âge, lorsque la symbolique du dix, axée avant tout sur le décalogue, donc d'orgine juive, s'est vue contestée par la symbolique du sept, représentée en premier lieu par les péchés cardinaux(). Si les dés étaient pipés, ce n'est pas par le résultat connu d'avance, mais par le nombre exrêmement limité de possibilités: 7 contre 10, mais pas 9 contre 14. Loin du "n'importe quelle direction" de Musil, loin du conventionnalisme total de Goodman, le possible de la Commission Romme est hautement réglementé. Si on peut dire et faire beaucoup au nom de la Nature et de la Raison, on ne peut certainement pas dire et faire n'importe quoi. Une certaine concordance, forcément partielle et souvent truquée, avec ces deux principes heureusement suffisamment vagues, est toujours recherchée, et, selon notre "noyau naïf de jugement réaliste", le plus souvent trouvée.
"Du commencement de l'ère et de l'année"
Cette question, on s'en souvient, était à l'origine de toute la réforme(). Reléguée au second plan, elle a toutefois commandé un des morceaux de bravoure de la Commission Romme. Rappelons que la Convention nationale décide de commencer l'ère, donc l'année républicaine le 21 septembre 1792, jour de l'abolition de la monarchie en France; puis, sur motion individuelle, elle restaure le 1er janvier comme le point de départ de l'année. La Commission se permet alors de revenir à la première option, ou presque, qui propose le 22 septembre 1792. Pour justifier ce choix, elle fait appel à tous les registres déjà évoqués, à d'autres aussi.
Le premier constat établit le possibilisme: "Le commencement de l'année a parcouru successivement toutes les saisons" (p.877). A priori, donc, tout choix est arbitraire.
Le deuxième constat sert alors à délimiter le champ, trop ouvert, du possible: "Quelques peuples ont fixé le premier jour de leur année aux solstices, d'autres aux équinoxes; plusieurs, au lieu de le fixer sur une époque de saison, ont préféré de prendre dans leurs fastes une époque historique"(p.877)(). Le choix "normal" se limite don à la Nature ou à l'Histoire.
Le troisième constat est de l'aberration du calendrier ancien par rapport à cette sage tradition:"La France, jusqu'en 1564, a commencé l'année à Pâques [c'est-à-dire une date ancrée et dans la Nature: l'équinoxe,- et dans l'Histoire: la Passion du Christ; le texte préfère pourtant ne pas insister la-dessus]. Un roi imbécile et féroce, le même qui ordonna le massacre de la saint-Barthélémy, Charles IX, fixa le commencement de l'année au 1er janvier, sans autre motif que de suivre l'exemple qui lui était donné. Cette époque ne s'accorde ni avec les saisons, ni avec les signes, ni avec l'histoire du temps [ce qui est faux, la circoncision du Christ étant fixée à cette date]"(p.877). Ainsi, même sur une question a priori très ouverte, l'Ancien Régime a "dérapé".
Voici donc que la Révolution se propose d'assumer un rôle qu'elle a en principe rejeté partout ailleurs, celui de la restauration d'un ordre originel. Comme dit Mona OZOUF, une des "impossibilités" de l'oeuvre régénératrice de la Révolution est "qu'on ne pourra pas retourner à un point antérieur de l'évolution historique. L'idée de retrouvailles avec une constitution ancienne des Français, si présente pourtant dans la pensée du dix-huitième siècle, est très vite abandonnée"(). Les "retrouvailles" s'imposent pourtant: "Le cours des événements nombreux de la Révolution présente une époque frappante, et peut-être unique dans l'histoire, par son accord parfait avec les mouvements célestes, les saisons et les traditions anciennes"(p.877). L'unicité de la Révolution n'en fait qu'une semi-restauration: on rétablit les liens millénaires entre commencement de l'année et Nature, mais on ne revient pas à Pâques. Ni au 21 septembre 1792, d'ailleurs, la Commission lui préférant le 22 septembre, car en ce jour: a. l'abolition fut proclamée; b. "le soleil arriva à l'équinoxe vrai de l'automne, en entrant dans le signe de la Balance"(p.877).
Suivent trois courts paragraphes, trois images qui traduisent la miraculeuse rencontre entre l'Histoire et la Nature en ce 22 septembre 1792. Je les trouve irrésistibles:
"Ainsi l'égalité des jours aux nuits était marquée dans le ciel, au moment même où l'égalité civile et morale était proclamée par les représentants du peuple français, comme le fondement sacré de son nouveau gouvernement.
Ainsi le soleil a éclairé à la fois les deux pôles et successivement le globe entier, le même jour où, pour la première fois, a brillé dans toute sa pureté, sur la nation française, le flambeau de la liberté qui doit un jour éclairer tout le genre humain.
Ainsi le soleil a passé d'un hémisphère à l'autre, le même jour où le peuple, triomphant de l'oppression des rois, a passé du gouvernement monarchique au gouvernement républicain"(877).
Comme si cela ne suffisait pas, voici les Egyptiens, redevenus alliés: "Les traditions sacrées de l'Egypte, qui devinrent celles de tout l'Orient, faisaient sortir la terre du chaos sous le même signe que notre République, et y fixaient les origines des choses et du temps"; ainsi l'ère de Séleucus commençait à l'équinoxe de l'automne, "suivie par les peuples de l'Orient de toutes les croyances, les adorateurs du feu comme les descendants d'Abraham, les chrétiens comme les mahométans [...] L'année ecclésiastique des Russes et l'année des Grecs modernes commencent encore au mois de septembre"(878).
Faut-il stigmatiser l'hétérogénéité de ce flux d'"arguments" qu'en d'autres lieux le Comité d'Instruction publique n'aurait pas manqué de qualifier de "superstitieux", de "crédules"? relever l'absence de tout appel au rationnel dans ce chapitre? s'étonner de la substitution de l'Histoire à la Raison comme source de légitimation, alors que l'Histoire est partout ailleurs tenue à l'écart - dans le débat sur la nomenclature du calendrier, par exemple,- car suspecte? Nuançons: ce n'est pas l'Histoire en général qui est suspecte, mais celle, trop récente, de l'Ancien Régime. Il suffit d'évoquer le néo-classicisme révolutionnaire pour s'en convaincre. Cela dit, commencer l'année et l'ère à une date révolutionnaire contredit la position qu'adopte la Convention au sujet de la nomenclature du calendrier, qui récuse toute auto-référence aux hommes et aux événements de la Révolution. Ces passages sont, à ne pas douter, totalement incompatibles avec l'ambition générique de la Commission Romme, celle de la primauté du rationnel. On est tenté d'attribuer à cette tension le glissement vers un langage religieux, qui ne tardera pas à investir l'ensemble du discours révolutionnaire: "Ce concours de tant de circonstances imprime un caractère religieux et sacré à cette époque"(p.878)? (Rappelons que la Fête de la Raison a lieu à Notre-Dame de Paris le 10 novembre 1793, c'est-à-dire entre la présentation du calendrier républicain et la rédaction du texte définitif().) Là ou le (heureux) hasard ne saurait être traduit en de termes rationnels, on fait appel au sacré qui servirait ainsi, après le nécessaire et le vraisemblable, de troisième moyen d'échapper à l'arbitraire (à l'aléatoire).
Une image arrêtée du possible (de l'impossibilité de choisir): La nomenclature du calendrier
De tous les aspects de la révolution du calendrier, c'est la nomenclature qui a suscité le plus de débats en 1793 (et le plus d'études historiques depuis). Des seize articles que comportait le projet initial, quinze ont été adoptés pratiquement sans discussions le jour même, c'est-à-dire le 5 octobre; alors que l'article dénominatif (N 9) monopolisait la grande partie de la séance, et sans qu'on atteigne à une résolution. Suivaient alors: une séance au Comité d'Instruction publique (14 octobre); une autre à la Convention (18 octobre), qui nomme une sous-commission composée de Romme, Fabre d'Eglantine, David et Chénier; et une dernière, toujours à la Convention (le 24 octobre), où Fabre présente la nomenclature définitive(pp.697-713).
Marc de Vissac() a trouvé dans les papiers de Romme une pièce à la fois curieuse et précieuse, intitulée "Projets de nomenclature du calendrier de la République" (voir page suivante). Y figurent les trois projets discutés le 5 octobre 1793: l'"ordinal", le "révolutionnaire", et le "moral", ainsi que deux discutés le 18 octobre (4ème et 5ème projets). Ni la Convention, ni le Comité d'Instruction publique, ni même la Commission Romme n'ont, semble-t-il, discuté des deux derniers projets; alors que manque, dans ce tableau, le projet qui fut en définitive adopté, dit de "Fabre d'Eglantine" (8e projet, ajouté par moi). Nous sommes donc en présence d'un cas paradigmatique de l'impossibilité de choisir. Et, fait plutôt rare, cette impossibilité a laissé des traces.().
Pour faire bref, le thème étant largement et excellemment traité par d'autres(), la discussion tourne essentiellement autour de l'opposition entre Histoire (de la Révolution) et Nature. Dès le 19 septembre, lors d'une séance au sein du Comité d'Instruction publique, on rejette "la proposition de donner [aux mois] les noms des hommes qui ont servi la liberté et qui ont fait les lois, parce qu'on craint les idoles"(p.439). Le 20 septembre, Romme propose la nomenclature "révolutionnaire" (deuxième projet). Les arguments de Pierre-Joseph Duhem semblent avoir l'écartée: "Qui peut répondre [aux législateurs] que ce qu'ils inscriront sera ce que la Révolution aura produit de plus grand? [...]je vous propose de vous en tenir à la dénomination ordinale [premier projet], qui est la plus simple. Il en résultera l'avantage que vous cherchez. Votre calendrier, qui n'eût été que celui de la nation française, deviendra celui de tous les peuples. Ils ne s'écarteront jamais de l'ordre numérique, qui est celui de la nature(!)"(p.585).
C'est aussi au nom d'une sorte de "relativisme historique" que Duhem persuade la Convention de rejeter le système "moral": "Mais êtes-vous sûrs que ce tableau [troisième projet] serait jugé tel par notre postérité, dont les idées seront plus saines et les moeurs seront plus pures que celles de la génération présente?"(p.586).
Après ces vifs débats, la Convention se détermine pour la nomenclature ordinale, tout en laissant en suspens une proposition de Fabre: "donner à chaque jour le nom des plantes que produit alors la nature, et des animaux utiles"(p.587). Autrement dit, elle ne se détermine pas vraiment. Or il fallait choisir. L'absence de choix est un luxe que la situation ne permet que très rarement. Et si, en cet an II, l'Histoire, même celle qui était en train de se faire, n'avait plus la cote, le système décimal, "simple", "naturel", et universel, selon Duhem, était, lui, tout à fait d'actualité. Le système des valeurs républicaines l'était aussi, comme en témoignent les dénominations des rues et des communes; les rues et les villages rebaptisés Egalité, Unité,la Montagne, l'emportaient même nettement sur les noms empruntés à la nature(). Le 24 octobre 1793, pourtant, Fabre d'Eglantine présente, et la Convention adopte une nomenclature "naturelle" (huitième projet)().
Que la Convention nationale ait opté ici pour la Nature relevait de la pure contingence. La "preuve": une proposition analogue a été déjà faite dès le 19 septembre; mais alors "on n'arrête rien sur cet objet et on passe à l'ordre du jour"(p.439). Ajoutons que Duhem observe à Fabre "qu'il pourrait reproduire contre sa proposition les mêmes objections qu'il a faites contre le tableau moral. L'assemblée passe à l'ordre du jour" sur la proposition de Fabre(p.587). Ce qui enlève à la suite une allure par trop déterministe. Réécrire ce choix en termes de cohérence, qu'elle soit lLa "preuve": une proposition analogue a été déjà faite dès le 19 septembre; mais alors "on n'arrête rien sur cet objet et on passe à l'ordre du jour"(p.439). Ajoutons que Duhem observe à Fabre "qu'il pourrait reproduire contre sa proposition les mêmes objections qu'il a faites contre le tableau moral. L'assemblée passe à l'ordre du jour" sur la proposition de Fabre(p.587). Ce qui enlève à la suite une allure par trop déterministe.La "preuve": une proposition analogue a été déjà faite dès le 19 septembre; mais alors "on n'arrête rien sur cet objet et on passe à l'ordre du jour"(p.439). Ajoutons que Duhem observe à Fabre "qu'il pourrait reproduire contre sa proposition les mêmes objections qu'il a faites contre le tableau moral. L'assemblée passe à l'ordre du jour" sur la proposition de Fabre(p.587). Ce qui enlève à la suite une allure par trop déterministe.La "preuve": une proposition analogue a été déjà faite dès le 19 septembre; mais alors "on n'arrête rien sur cet objet et on passe à l'ordre du jour"(p.439). Ajoutons que Duhem observe à Fabre "qu'il pourrait reproduire contre sa proposition les mêmes objections qu'il a faites contre le tableau moral. L'assemblée passe à l'ordre du jour" sur la proposition de Fabre(p.587). Ce qui enlève à la suite une allure par trop déterministe.ogique, thématique, fonctionnelle, ce que même Fabre se résignait à ne pas faire, irait à l'encontre de l'esprit possibiliste: le possible aspire, certes, au nécessaire, ou du moins au vraisemblable, mais il n'y parvient pas toujours...
QUE DIT L'ECHEC?
Mes compétences sont insuffisantes pour sérieusement étudier la désastreuse "carrière" du calendrier une fois instauré. Relevons toutefois quelques points de repère. Une première vague anti-calendrier a lieu dès l'an II (). Divers intervenants à la barre de la Convention au cours de thermidor an III affirment que le refus du calendrier est quasi-unanime: "Un pétitionnaire [...] demande la suppression du nouveau calendrier; il motive sa demande sur ce que personne dans les campagnes ne veut l'employer"; et Boissieu l'appuie: "Tôt ou tard, il faudra finir par jeter au feu un calendrier dont personne ne veut. (Murmures). J'ai parcouru plusieurs départements, et partout j'ai vu ce que je viens d'avancer tout à l'heure" (). Le jugement de Lanjuinais, pourtant auteur de l'"Opinion de Lanjuinais sur l'introduction du calendrier des tyrans dans la constitution française", est plus nuancé: "Les nouveaux noms des mois sont vérité dans le Nord, et perpétuel mensonge au Midi"().
Une analyse fouillée des rapports des commissaires de la République puis des préfets devrait apporter une connaissance plus fine de la résistance au calendrier, forcément différentielle; l'appréciation d'ensemble ne pourrait pas être mise en doute pour autant: le calendrier républicain a été un échec patent. A-t-il touché, a-t-il seulement effleuré l'imaginaire social? N'est-il pas resté fermé sur lui même, système de signes sans qu'il lui soit liée une quelconque pratique? "Songez, dit Boissy d'Anglas à ses pairs, que pour régler les destinées du monde, vous n'avez qu'à vouloir. Vous êtes les créateurs d'un monde nouveau, dites que la lumière soit et la lumière sera"(). Mais la société n'a pas suivi. Certes, il était faux de prétendre, comme l'a fait la section de Bonne-Nouvelle le 24 thermidor an III (11 août 1795) dans une pétition réclamant le rétablissement du calendrier ancien, que "ce n'est pas aux mots qu'est attachée la République"() - comme si mots et Révolution étaient séparables. Mais, pour paraphraser un titre archi-célèbre, le calendrier pourrait servir d'exemple de "How to de Words with Words" ("Quand dire, c'est dire..."). Un indice: les révolutionnaires n'ont jamais pris leur nouvelle ère suffisamment au sérieux pour redater l'Histoire, en créant un avant-et-après l'An I (Louis XIV n'est pas mort en moins 77...).
Le possibilisme de la Révolution française semble ainsi avoir touché ses limites. En d'autres termes, son jeu du possible s'est heurté, dans le cas de la réforme du calendrier, à un impossible à lui extérieur, de lui plus puissant. Dans ce cas, mais pas ailleurs: d'autres réformes ont en effet connu un bien meilleur sort, en premier lieu la départementalisation(). Ce qui nous ramène inéluctablement au couple temps-espace. Est-ce que l'échec dans l'un et le succès dans l'autre permettent de dire que l'espace se prête plus facilement aux jeux du possible que le temps? Affirmation, trop rapide, car l'histoire compte de nombreuses réformes calendaires tout à fait réussies, dont une, gigantesque, s'est soldée, en notre XXe siècle, par l'adoption du calendrier grégorien par plus de cent cinquante pays.
N'écartons toutefois pas d'emblée l'appel à la différence entre ces deux catégories. Un indice historique montre que l'un et l'autre ne se prêtent pas avec une égale facilité aux jeux du possible. Il s'agit de l'utopie, qui s'est mise à voyager dans le temps bien après les voyages dans l'espace. De fait, le premier ouvrage qui s'aventure dans le temps est 2440 de Mercier (1771): "Avec Mercier l'utopie cesse d'être un exercice mental sur un possible latéral pour se muer en un exercice mental sur un possible ultérieur"(). Par coïncidence, semble-t-il, l'abbé Galiani projette en cette même années 1771 d'écrire "Une histoire de l'année 1900", ou "Une histoire du vingtième siècle", projet jamais abouti(). Il faut attendre le XIXe siècle pour que cette technique se popularise jusqu'à devenir dominante dans la science-fiction. Il s'ensuit que vers 1795, l'idée de manipuler l'axe temporel - le calendrier républicain - avait bien moins de chances de s'imposer que la manipulation spatiale - la départementalisation.
Une explication plus plausible imputerait l'échec du calendrier au fait qu'il était marqué par 1793, alors que le nouveau découpage du territoire était l'oeuvre de 1789(). Le calendrier devenait de ce fait, et quoi qu'en ait dit La Révellière-Lépaux ("ici il s'agit de la chose et non des hommes"()), la cible privilégiée des Thermidoriens; Lanjuinais va jusqu'à employer (inventer?) la notion de "tyrannie décadaire"() - nous rappelant le véritable enjeu du calendrier républicain: "Supprimer le dimanche"! Ce même Lanjuinais propose dès le faux-compromis de garder les mois de trente jours ainsi que les cinq jours complémentaires, de continuer à compter les années par celle de l'ère de la République, mais de supprimer la décade, donc le décadi. Dans les années 1796-18O1, le décadi devient emblématique pour tenants et adversaires du calendrier républicain(). En 1802, l'abandon impérial du calendrier commence par la restauration du dimanche comme jour de repos des fonctionnaires publics - premier pas, et déjà décisif(). En 1805, enfin, Regnaud de Saint-Jean d'Angély, rapporteur du décret rétablissant le calendrier grégorien, affirme non sans regret que "cette substitution de la semaine à la décade a déjà fait perdre au calendrier un de ses avantages les plus usuels"().
"Le combat sanglant entre le dimanche et le décadi" a donc bel et bien eu lieu. Toute réconciliation, comme celle préconisée, par exemple, par une autre brochure de l'époque: "Dispute du diable entre Monsieur Dimanche, la citoyenne Décade, le curé de la paroisse des Innocents, le curé des théophilantropes" était exclue d'avance. Et l'issue du combat était sans appel. J'y verrais un échec d'ordre religieux. Quand, dans sa pratique du possible, et pour échapper à l'arbitraire, la Révolution française s'est mise à faire appel au sacré, elle s'est retrouvée sur un terrain où elle avait très peu de chances de s'imposer. () Pour nuancer, disons, après Mona Ozouf, que le calendrier religieux correspondait trop à la cadence de la vie à la campagne - chaque fête chrétienne, et de nombreux jours de saints renvoyaient à une activité touchant de près la vie paysanne - pour qu'on s'en passe si facilement.
Défense et illustration de la décontextualisation
On me reproche qu'en privilégiant l'analyse textuelle, j'ai traité le calendrier républicain comme s'il s'agissait d'un pur exercice intellectuel, que seul le hasard a situé en 1793. Bref, d'avoir "dés-historicisé" le sujet.
Je n'avancerais pas, à ma décharge, les arguments d'usage, du type: "faute de temps" et/ou "faute d'espace" et/ou "faute de compétence" on s'est limité à...,- quoique ceux-ci ne soient pas faux, bien au contraire. L'étude qu'on vient de lire exprime une révolte contre l'habitus des sciences humaines, selon lequel le fait d'isoler un fait, un épisode, une question est toujours un compromis, qu'il n'est dû qu'à de considérations méthodologiques ("temps", "espace", "compétences"). Autrement dit, l'idéal serait de toujours tout étudier, car "tout se tient". Face au postulat implicite de la totalité systémique, je me suis proposé l'expérimentation d'une approche qu'on pourrait qualifier de "fragmentaire". Dans cette perspective, est écarté comme non-pertinent à une problématique tout ce dont on ne peut pas démontrer la contribution significative. A qui me reprocherait de ne pas avoir pris en considération, dans mon analyse de la gestion du choix de la Commission Romme, les aspects politiques, religieux, économiques, artistiques, que sais-je, je répliquerais qu'un contexte n'est pas à postuler - mais à prouver (à motiver)().
Dans le dernier chapitre du livre ("L': Vers une redéfinition du contexte historique"), j'avance l'idée, sciemment radicale et provocante, que le contexte devrait se constituer non pas selon le procédé métonymique: la pertinence du contexte à partir de la proximité dans le temps et dans l'espace -, mais selon le procédé problématique: ce qui, dans le passé - dans le réel -, est pertinent à une question posée par l'historien.
Admettre ce principe signifie que Robert Musil et son traitement de la question du possible sont davantage pertinents à mon texte que les conditions économiques et sociales prévalant en 1793. En règle générale, lui sont pertinents les écrivains explorateurs de ces terres possibilistes. Wittgenstein: "Construire un bâtiment ne m'intéresse pas autant que le fait d'avoir une vue claire des fondations de bâtiments possibles"(). Citons le narrateur des Mémoires écrits dans un souterrain de Dostoievski, dont l'hyper-conscience de la fausseté de tout choix le condamne à la passivité totale - et à la folie. Evoquons Jorge Luis Borgès, chantre du possibilisme s'il en fût, dont "Le jardin des chantiers qui bifurquent" est une sorte de manifeste du refus de choisir: "Dans toutes les fictions, chaque fois que diverses solutions se présentent, l'homme en adopte une et élimine les autres; dans la fiction du presque inextricable Ts'ui Pên, il les adopte toutes - simultanément [...] Il crée ainsi divers avenirs, divers temps qui prolifèrent aussi et bifurquent. Fang, par exemple, détient un secret; un inconnu frappe à sa porte; Fang décide de le tuer. Naturellement, il y a plusieurs dénouements possibles: Fang peut tuer l'intrus, l'intrus peut tuer Fang, tous deux peuvent réchapper, tous deux peuvent mourir, et coetera. Dans l'ouvrage de Ts'ui Pên, tous les dénouements se produisent; chacun est le départ d'autres bifurcations"(). O. Henry (William Sidney Porter) est parti d'une idée analogue dans "Roads of Destiny"(1909); mais là, chacun des trois chemins empruntés par le héros se termine par la même fin violente, ce qui rend cette nouvelle perversement déterministe. Rappelons aussi l'employé Grand qui, tout au long de La Peste d'Albert Camus, ne parvient pas à dépasser l'écriture la première phrase de son roman (l'amazone se promenant dans les allées du Bois de Boulogne) à cause du nombre infini des possibilités de la formuler. Léon Tolstoï s'est insurgé contre l'aspect faussement déterministe des dénouements fictionnels, qui propose, dans "Le Diable", deux fins alternatives; et Julien Duvivier offre, dans La belle équipe (1936), deux fins, un "noir" pour les beaux quartiers, un "rose" pour les salles populaires.
Dans un tout autre registre, mais tout aussi pertinente ici, évoquons la réforme de Clisthène l'Athénien en 507/508 avant J.C., étudiée par Pierre Levêque et Pierre Vidal-Naquet(). Comme en 1793, la gigantesque refonte sociale et politique est accompagnée, pour ne pas dire imposée, par une réforme des grands découpages de l'espace et du temps. Dans ce cas aussi, la symbolique des nombres joue un rôle étonnemment important. Pour faire bref, citons Gustave Glotz, qui a le premier, signalé ce rapprochement: "Avec cette rigueur de logique qui le caractérisait, Clisthène combina le système des prytanées avec une réforme du calendrier. Les Athéniens, comme tous les Grecs, ne connaissaient que l'année lunaire de 354 jours, répartis sur 12 mois de 29 ou 30 jours alternativement, et, pour raccrocher l'année lunaire à l'année solaire de 365 1/4 jours, ils intercalaient un treizième mois , trois fois dans les huit ans. Clisthène se garda bien de toucher au calendrier qui réglait les cérémonies de culte et les relations sociales [ce qui le différencie fortement des Jacobins de l'an II; et comme écrit E. Will, "parler de de l'Etat, voire de , c'est jongler avec les anachronismes" ()]; mais il en imagina un autre pour régler la vie publique, en accommodant le régime des prytanées au système décimal. Il adopte l'année de 360 jours, divisée en 10 prytanies de 36 jours subdivisés en trois dôdécades, quitte à y substituer de temps à autre une année de 390 jours avec des prytanées de 39 jours et des dôdécades de 13 jours. Tel fut le calendrier officiel qui coexista dans Athènes avec le calendrier religieux et civil pendant un siècle exactement, jusqu'en 408/407 [ce qui démontre une fois encore que la cohabitatiuon pacifique de systèmes contradictoires est tout à fait possible]. Et rien n'est plus curieux dans l'histoire que de voir, à 23 siècles d'intervalle, le même esprit produire les mêmes effets: comme les assemblées de la France révolutionnaire, Clisthène, après avoir brisé les cadres où se perpétuait le passé, voulut, lui aussi, assujettir au système décimal le temps lui-même"().
* * *
"...le rôle du poète est de dire non pas ce qui a lieu réellement, mais ce qui pourrait avoir lieu dans l'ordre du vraisemblable ou du nécessaire. Car la différence entre le chroniqueur [l"historien"] et le poète n'est pas de ce que l'un s'exprime en vers et l'autre en prose [...]; mais la différence est que l'un dit ce qui a lieu, l'autre ce qui pourrait avoir lieu, c'est à dire le possible; c'est pour cette raison que la poésie est plus philosophique et plus noble que la chronique: la poésie traite plutôt du général, la chronique, du particulier. Le , c'est le type de chose qu'un certain type d'homme fait ou dit vraisemblablement ou nécessairement. C'est le but que poursuit la poésie, tout en attribuant des noms aux personnages. Le , c'est ce qu'a fait Alcibiade ou ce qui lui est arrivé"().
D'Aristote à Ranke, philosophes et historiens s'accordent sur la différence entre le contrat "réaliste" de l'historien ("chroniquer" chez Aristote) et celui du poète: "l'un dit ce qui a lieu, l'autre, ce qui pourrait avoir lieu, c'est-à-dire le possible". Cela n'enlève rien à l'urgence de cultiver "la faculté de l'aussi bien" en histoire. Ce que nous proposons d'appeler "histoire possibiliste" concerne donc tout ce qui a trait à l'"aussi bien", de l'historien et des agents historiques. Ici, on s'est penché sur la jonction entre les deux, à savoir cette tendance, certains diraient "fâcheuse", d'autres, "humaine", qu'a tout homme, tout groupe, au sortir d'une situation possibiliste, à réécrire le choix en de termes "poétiques", "dans l'ordre du vraisemblable ou de nécessaire"; ou, pour rester dans les catégories aristotéliciennes, à rendre l'Histoire "plus philosophique et plus noble" que la "réalité".
[1]) Robert Musil, L'Homme sans qualités, traduction française, Philippe Jaccottet, Paris, Seuil, 1982(1930), Tome I, p.328.
() Maximilien-Isidore de Robespierre, "Rapport sur le projet Lepeletier devant la Convention nationale", le 13 août 1793, in James Guillaume, Procès-Verbaux du Comité d'Instruction publique de la Convention nationale, VI volumes, Paris, 1891-1907 (+ Table générale), Volume II, p.272.
()Robert Musil, L'Homme sans qualités, op.cit., Livre I,§ 4 , p.17.
() Ibid, Tome I, p.33O; ce qui n'est pas sans rappeler la préface de E.P.Thompson dans The Making of the English Working Class, Londres, 1984(1963), p.12: "Seuls ceux qui ont du succès restent. Les impasses, les causes perdues, les perdants mêmes sont oubliés".
() Histoire des institutions politiques de l'ancienne France, Paris, Hachette, 1875, Tome I, p.2; et aussi Joseph de Maistre: "Nulle grande institution ne résulte d'une délibération", Considérations sur le France, Londres, 1797, (Edition Garnier, Paris, 1980, p.67).
() Mona Ozouf, "La Révolution française et l'idée de l'homme nouveau", in The French Revolution and the Creation of Modern Political Culture, Volume II, The Political Culture of French Revolution, éd. Keith Baker, Londres et New York, Pergamon Press, 1988, pp.213-232. Sur l'aspect utopique de la Révolution française, voir Bronislaw Baczko, Lumières de l'utopie, Paris, Payot, 1978, et Imaginaires sociaux: mémoires et espoirs collectifs, Paris, Payot, 1984.
() La littérature sur ce sujet est immense. Renvoyons, d'un côté, à Judith E. Schlanger, Les métaphores de l'organisme, op.cit., de l'autre côté aux Formalistes russes, en particulier aux textes, désormais classiques, de Jouri Tynianov, dont trois sont reproduits dans Théorie de la littérature, op.cit. (textes de 1924, 1928, 1929). Dans cette même lignée, voir les écrits de Jouri Lotman, ainsi "Un modèle dynamique du système sémiotique", in Travaux sur les systèmes des signes: Ecole de Tartu, Bruxelles, 1976, pp.77-93; ceux d'Itamar Even-Zohar, dont "Polysystem Theory", Poetics Today, I, N 1-2 (automne 1979), pp. 286-31O; Peter Steiner, "Three Metaphors of Russian Formalists", Poetics Today, II, N 1b (hiver 198O/81), pp.59-116: les trois métaphores sont: l'organisme, la machine et le système.
() Voir mes "Le nom des rues" et "Les classiques scolaires", in Les lieux de mémoire, op.cit, II, 3, respectivement pp.283-320 et 517-562.
() Mona Ozouf, "La Révolution française et l'idée de l'homme nouveau", op.cit.
() Voir Marie-Vic Ozouf-Marignier, La formation des départements. La représentation du territoire française à la fin du XVIIIe siècle, Paris, EHESS, 1989; ainsi que Jacques Revel, "La division de l'esapce français", in J. Revel (sous la direction de), Histoire de la France, Tome I, L'espace français, Paris, Seuil, .
() Selon une autre hypothèse, c'est la départementalisation qui a "crée" le principal découpage de l'Ancien Régime, celui des provinces. Sans aller aussi loin, Catherine Bertho, "L'invention de la Bretagne: Genèse d'un stéréotype", Actes de la Recherche en Sciences Sociales, N 35 (novembre 1980), pp.45-62, affirme que l'idée moderne des provinces est née avec la Révolution, c'est-à-dire avec leur disparition officielle.
() Paris, M.S.H., 1984(1970).
() "Etude sur le calendrier républicain", La Révolution française, Tomes VII et VIII (1884,1885), pp. 451-459, 535-5; 623-656, 740-758, 830-854, 883-888.
() "Making the Revolutionary Calendar" American Historical Review, Volume XXXVI, N 3 (avril 1931), pp. 515-532.
() E. Zerubavel, The Seven Day Circle: The History and Meaning of the Week, New York, Free Press, 1985, pp.28-35.
() "Le calendrier républicain: Décréter l'éternité", Les Lieux de Mémoire, op.cit.,Tome I, pp. 37-83.
() "Le calendrier", in François Furet & Mona Ozouf (sous la direction de), Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988, pp.482-490.
() Car, selon moi, l'analyse textuelle peut être considérée comme une pratique de décontextualisation. Je reviendrai à la fin du texte à cette distinction (dont le point de départ fût une remarque critique de Simona Cerutti).
() Pour l'histoire complète, voir les études déjà citées, et surtout Guillaume, la meilleure source en la matière.
() Les renvois paginés sont au IIème Tome des Procès-verbaux du Comité d'Instruction publique de la Convention nationale, op.cit.
() C'est d'ailleurs le reproche majeur que je ferais au livre qui m'a lancé sur la piste du calendrier républicain: Eviatar Zerubavel, Hidden Rythms: Schedules and Calendars in Social Life, Chicago University Press, 1981,- que d'avoir trop insisté sur le caractère conventionnel et artificiel des rythmes qui gouvernent la vie sociale, ce qui est plutôt un lieu commun depuis Parménide, précisément.
() Nancy M. Farris, "Remembering the Future, Anticipating the Past: History, Time and Cosmology among the Maya of Yucatan", Comparative Studies in Society and History, Volume 29, N 3 (july 1987), pp.566-593 (la citation est p. 572).
() Boris Tomashevski, "Thématique", in Théorie de la littérature, op.cit., pp.282-292.
() Comme dit note texte, "la longueur de l'année a suivi chez les différents peuples les progrès de leurs lumières" - de l'année lunaire à l'année solaire, s'entend; J. Guillaume, Procès-verbaux..., op.cit., Tome II, p.878.
() Mais voir infra, le "refus de choisir" chez Dostoievski et Borgès.
() Voir W. Kula, Les mesures et les hommes, op.cit.
() "Naturalization", selon la terminologie de Jonathan Culler, in Structuralist Poetics, Ithaca, N.Y., Cornell University Press, 1975, dans le chapitre intitulé "Conventions and naturalization", pp.131-164.
() Roland Barthes, "L'effet du réel", Communications, N 11 (1968), pp.84-89, où il suggère que les détails "redondants" contribuent à l'illusion référentielle du récit - une autre façon de dire que la redondance n'existe pas. Or mon texte se veut, entre autre, l'illustration d'une approche fragmentaire.
() S.l. s.d., 15p., BR, MFR 366,4.
() Mot souvent cité, ainsi par Jules Michelet dans l'Histoire de la Révolution française, Paris, Gallimard, "Pléiade", 1952(1847-1852), Tome II, p.636, et qui devait être une réponse de Romme à l'abbé Grégoire. Voir Henri Grégoire, Mémoires ecclésiastiques, politiques et religieuses, Paris, 1837 (posthumes, rédigés vers 1808, édités par Hippolyte Carnot), Volume I, p.341 (je dois cette référence à Giovanni Levi).
() Nelson Goodman, Languages of Art: An Approach to a Theory of Symbols, New York, 1968, en particulier le premier chapitre, "Reality Remade" (la citation est p.38).
() Ernest H. Gombrich, Art and Illusion: A Study in the Psychology of Pictorial Representation, Londres, Phaidon, 1960
() Menachem Brinker, "Verisimilitude, Conventions, and Beliefs", et "On Realism's Relativism: A Reply to Nelson Goodman", New Literary History, XIV (1982-1983), pp.254-267 et 273-276; de même que Représentation et signification dans l'oeuvre fictionnelle, Tel Aviv, 1980 (en hébreu). Voir la solution historicisante de Roman Jakobson, "Du réalisme artistique", traduction française in Théorie de la littérature, op.cit. pp.98-108.
() Philippe Delhaye, Le décalogue et sa place dans la morale chrétienne, Paris-Bruxelles, 1963; et Silvana Vecchio, "Il decalogo nella predicazione de XIII secolo"
() L'historique de la question a été établie par G. Villain et par G. Andrews, op.cit.
() Que l'inventaire ne soit pas exhaustif ne saurait être contesté. L'"oubli" de l'année de la République romaine est triplement significatif à cet égard: c'est, de l'histoire de l'humanité, la période de référence des révolutionnaires; le commencement de cette année n'avait jamais de rapport avec la Nature ou avec l'Histoire, il était fixé le 1er mars, puis le 1er janvier, car c'est alors que le nouveau consul prenait ses fonctions; pire, c'est le 1er janvier que la Commission dénonce comme étant l'arbitraire pur.
() Mona Ozouf, "La Révolution française et l'idée de l'homme nouveau", op.cit.
() Sur la religiosité de la Révolution française, voir les nombreux écrits d'Albert Mathiez, entre autres La Théophilantropie et le culte décadaire, 1796-180l, Essai sur l'histoire religieuse de la Révolution française, Paris, Alcan, 1903, Les origines des cultes révolutionnaires, Paris, 1904, et Contributions à l'histoire religieuse de la Révolution française, Préface Gabriel Monod, Paris, Alcan, 1907; Les fêtes de la Révolution: Colloque de Clermont-Ferrand (Juin 1974), actes recueillies et présentées par Jean Ehrard& Paul Viallaneix, Paris, Société des Etude robespierristes, 1977; et surtout Mona Ozouf, La fête révolutionnaire, 1789-1799, Paris, Gallimard, 1976.
() Marc de Vissac, Romme le Montagnard, Clermont-Ferrand, 1888, Appendice F. Repris dans J. Guillaume, Procès-verbaux..., op.cit., Volume II, pp. 580-581, avec une analyse p.579.
() Alain Boureau, L'Aigle: Chronique politique d'un emblème, Paris, Cerf, 1985, pp.140-174, relève deux cas analogues, à savoir le choix de l'emblème des Etats-Unis et de l'Empire napoléonien. Voir en particulier son analyse du compte-rendu de la séance du 12 juin 1804(23 prairial an XII) du Conseil d'Etat. Ce texte nous permet d'observer l'Empereur et ses conseillers hésiter entre l'éléphant, le coq, les fleurs de lys, l'Egide de Minerve, une fleur, une chêne, l'épi de blé, avant de trancher en faveur de l'aigle (pp.167-169).
() Cf. Bronislaw Baczko et Mona Ozouf, op.cit.
() Voir Daniel Milo, "Le nom des rues", op.cit., pp.292-296.
() Nomenclature que James Guillaume refuse d'attribuer au seul Fabre, rappelant que deux autres esprits créatifs , David et Marie-Joseph Chénier, siégeaient dans la sous-commission (p.694).
() Voir la série de pétitions présentées au Comité d'Instruction publique le 29 ventôse an II (19 mars 1794), in Guillaume, Procès-verbaux..., op.cit., Tome III, pp. 595-621.
() Ibidem, Tome VI, p. 477.
() Thermidor an III, Imprimerie nationale, reproduit ibidem,, Tome VI, pp.555-557.
() François-Antoine Boissy d'Anglas, "Quelques idées sur les arts, sur la nécessité de les encourager, sur les institutions qui peuvent en assurer le perfectionnement, adressées à la Convention nationbale et au Comité d'Instruction publique", le 25 pluviôse an II (6 janvier 1794), Paris, Imprimerie nationale, B.N. Le38 697, 8, cité in J.Guillaume, Procès-verbaux..., op.cit., Tome III, 637-656.
() Ibidem, Tome VI, p. 530.
() Le système métrique a connu un destin plus mouvementé avant de définitivement s'imposer; W. Kula, Les mesures et les hommes, op.cit, pp.215-275.
() Raymond Trousson, "Introduction", Louis-Sébastien Mercier, L'An 2440. Rêve s'il en fut jamais, Paris, Ducros, 1971, en particulier "De l'utopie à l'uchronie", pp.54-61 (citation p.59). Précurseur innocente: une série de six articles sur la peinture et l'architecture contemporaines, présentés comme des "mémoires d'une société de gens de lettres qui seraient publiés dans le Mercure de France de 2335", in Mercure de france de 1755-1756.
() Lettres de l'abbé Galiani à Mme d'Epinay, Paris, 1881, Tome I, pp.235-238, 246,261, lettres de Naples du 27 avril, 4 mai, 8 juin et 3 août 1771.
() Sur cette opposition tranchée, voir François Furet, "La Révolution française dans l'imaginaire politique français", Le Débat, N 26 (septembre 1983), 173-182.
() "Plus on examinera le nouveau calendrier, plus on sentira ses avantages; certes, je ne suis pas payé pour aimer ceux qui l'ont fait, mais ici il s'agit de la chose et non pas des hommes, et il n'y a que des ignorants ou des aristocrates qui puissent déclamer cette institution, qui, toutes nouvelle qu'elle est, et faite par des hommes peu estimables, n'en est pas moins de la plus grande utilité", Louis-Marie de La Levellière-Lepaux, qui répond à l'assaut de la séance du 10 thermidor an III, in Guillaume, Procès-verbaux..., op.cit, Tome VI, pp.478-479.
() In "Opinion de Lanjuinais...", op.cit. Cette explication diffère de celle proposée par B. Baczko, "Le calendrier..." op.cit., pp.78-79, qui attribue l'oubli dans lequel a sombré le calendrier à son association avec le Directoire, ce "lieu de non-identification collective ou, si l'on veut, le lieu de l'identification collective impossible". Attrayante qu'est cette hypothèse, elle n'explique pas l'échec du calendrier non pas sur le plan de la mémoire, mais sur le plan de la pratique.
()Voir A. Mathiez, La Théophilantropie et le culte décadaire..., op.cit., et Maurice Dommanget, La déchristiani- sation à Beauvais et dans l'Oise (1790-1801), Tome I, Paris, 1918, pp.37-58 et 145-180.
() "C'est cette loi du 18 germinal an VIII [19 avril 18O2 - il s'agit de la loi sur l'organisation des cultes; D.M.], qui a rétabli, d'une façon détournée, l'usage du calendrier grégorien, puisque l'article 57, titre VI, fixait au dimanche le jour de repos des fonctionnaires publics", Georges Villain, op.cit., p.854. Sur les étapes qui ont conduit à l'abandon du calendrier , voir Guillaume, op.cit., Tome VI, pp.207-213, et B. Baczko, "Le calendrier républicain", op.cit., pp.58-79.
() Le 13 fructidor an XIII (31 août 1805), cité in Guillaume, Procès-verbaux..., op.cit., Tome VI, p.209.
() C'est la position défendue par Zerubavel: "The failure of the decadal experiment must therefore be understood within the context of the overall failure of the revolution to de-Christianize France", The Seven Day Circle, op.cit. p.34.
() J'ai essayé de défendre ce point de vue dans "Le musical et le social: Variations sur des textes de William Weber", Annales, E.S.C., 42ème Année, N 1 (janvier-février 1987), pp.27-40, avec, entre autre, une formule quelque peu brutale: "Du musical au social, il faut passer par le culturel".
() Ludwig Wittgenstein, Value and Culture, Basil Blackwell, Oxford, 1980, p.7.
() J.L. Borgès, "Le jardin des chantiers qui bifurquent", in Fictions, Traduction française P. Verdevoye, Paris, 1951 (1941), pp.129-130.
() Clisthène l'Athénien. Sur la représentation de l'espace et du temps en Grèce de la fin du VIe siècle à la mort de Platon, Paris, Macula, 1983(1964).
() Edouard Will, Le monde grec et l'Orient, Tome I, Le Ve siècle (510-403), Paris, PUF, 1972, pp.71-72.
() Gustave Glotz, Histoire grecque, Tome I, pp. 475-476, Paris, P.U.F., 1925.
() Aristote, La Poétique, Traduite et annotée par R. Dupont-Roc & J. Lallot, Préface de T. Todorov, Paris, Seuil, 1980, p.65.