The Duel
"Thus conscience does make cowards of us all; And thus the native hue of resolution Is scicklied o'er with the pale cast of thought, And enterprises of great pitch and moment With this regard their currents turn awry, And lose the name of action. Soft you now." (III, i, 83-88 (To be or not to be).
Que se passe-t-il quand le littéraire fait irruption dans le réel?
"Pour un prétexte futile, deux officiers de la Grande Armée se battent dans une série de duels tout au long des guerres napoléoniennes. Le prétexte lui-même n'a jamais été dévoilé." C'est de cette anecdote, raconte Joseph Conrad, picorée dans un journal provincial du sud de la France, qu'est partie sa nouvelle "Le duel" (c 1904).
L'anecdote elle-même, ajoute-t-il dans une "Notice d'auteur" (1920), lui servait de prétexte d'écrire une fiction historique. Cette ambition fut couronnée de succès, à en juger par "le témoignage de quelques lecteurs français, qui ont offert l'opinion que dans cette centaine de pages, j'ai réussi à transmettre l'esprit de l'époque".
On devrait questionner l'autorité d'un jury qui, français ou pas, n'a pas plus connu les années 1800-1820 que l'auteur. La vanité que Conrad retire de son verdict flatteur en fait une victime de plus de l'intimidation spécialisée, celle qui fait fureur en sciences sociales: Pour parler de X il faut en faire partie et à défaut, être versé dans tout ce qui en a été déjà écrit... Passons.
La suite de la "Notice" prouve que Conrad n'en fut dupe qu'à moitié. Par fiction historique, il vise l'Esprit de l'Epoque, en double majuscule, "jamais purement militaire dans la longue collision des armes, jeune, presque infantile dans son exaltation du sentiment, naïvement héroïque dans sa foi".
Deux vaillants lieutenants, ayant épousé la cause de l'Empire corps et âme, ne se privent pourtant pas de s'adonner à leur dispute toute privée, même au détriment de la Raison d'Etat. L'un d'eux va jusqu'à gravir les échelons uniquement pour rattraper son ennemi mortel, le duel n'étant admis qu'entre officiers de même grade - en 1815, les deux sont généraux! Certes, Feraud et D'Hubert suspendent leurs hostilités quand le Devoir l'exige: Austerlitz, Eylau, Friedland, Moscou; mais le lecteur a l'impression que c'est l'inverse qui se passe: le duel par intermittence est au centre de leur vie, mais comme
La monomanie est une activité à temps partiel,
la grande Histoire leur permet d'héroïquement meubler le reste du temps.
En termes de Gestalt, la guerre, qu'on a l'habitude de retrouver à l'avant-scène, dans la vie de deux de ses protagonistes est repoussée à l'arrière-plan; la figure devient fond et le fond, figure. (Voir Rosencrantz et Guildenstern sont morts).
Comme le dit Conrad, même l'Esprit de l'Epoque la plus militaire de l'histoire n'était pas "purement militaire" - et si elle n'était qu'accessoirement militaire? (Ironiquement, ou par inadvertance, Conrad catalogue la nouvelle sous le label "un conte militaire"). Par extrapolation, on dira que l'Age classique n'était classique que sur les marges; le Moyen Age n'est médiéval que pour les historiens, le Postmodernisme n'est postmoderniste que l'espace d'innombrables pages obscurément écrites mais point obscures, etc.
Faisons le pas de trop. Si les enjeux vitaux d'acteurs principaux peuvent échapper à l'emprise d'un contexte aussi chargé que les guerres napoléoniennes, a fortiori est-ce le cas des contemporains d'époques plus molles, la nôtre, par exemple. Cette leçon d'histoire vaut bien le détour.
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De l'anecdote originelle, Conrad retient trois bizarreries: un contentieux fondé sur un prétexte futile, sa futilité n'a pas empêché les deux officiers de le régler vingt ans durant, le prétexte n'a jamais été dévoilé.
En préambule, Conrad se devait d'inventer le farfelu prétexte, il s'en acquitte tant bien que mal. C'est alors qu'il relève le véritable défi: fournir une motivation réaliste au fait qu'une futilité puisse détourner deux officiers de carrière de leur raison d'être, et ce, non pas en temps de chômage militaire; expliquer comment le contentieux est de suite tombé dans le domaine public - le journal méridional en parle comme "the well-known fact" -, alors que son origine n'a jamais été découverte. Car pour les contemporains, il allait de soit que l'effet fut sans commune mesure avec la cause, dont pourtant ils avouaient tout ignorer.
Conrad aurait pu asseoir la vraisemblance de l'histoire sur la psychopathologie de deux fous furieux, à qui tout est bon pour laisser libre cours à leurs pulsions belliqueuses; ou sur l'anachronisme de deux rescapés de la Table Ronde, en retard de sept siècles sur le code d'honneur en vogue. Bref, Conrad aurait pu en faire une paire symétrique, dont l'affinité élective isole de leurs pairs, deux monomaniaques que l'idée fixe installe hors du temps, en littérature. La solution de Conrad.
Trois ne font, trois ne sont que ça: Dieu, il ne fait qu'être, le mort, il ne fait que ne pas être, le héros romanesque, il ne fait que passer.
Feraud et D'Hubert ont beau être des personnages fictifs, on vient de l'apprendre, ils ne font pas que se battre en duel. Du moins ne pensent-ils qu'à ça?
L'un oui, l'autre pas. Le duel engage un chien enragé et un homme rangé, un être obsédé et celui qui sait: Ce n'est pas si simple, c'est même beaucoup plus compliqué - et qui néanmoins joue le jeu. C'est cette asymétrie qui commande l'intrigue, et qui la transforme en étude de cas exemplaire.
"Jamais je ne te pardonnerai", "Je te le ferai payer", "Hors de ma vie!": l'impardonnable est une famille sémantique nombreuse, qui, parmi nous, n'en a pas proféré un parent plus ou moins pauvre? Causons toujours, mais
Qui défendra la cause de l'effet?
Les personnages littéraires. Eux ne se contentent pas de promesses vagues, ils détaillent: "Le sang seul lavera un tel affront", "Je ne connaîtrai pas de répit jusqu'à ce que notre affaire soit réglée".
Partant de ma définition du littéraire comme l'unique lieu où les mots, voire les clichés, sont pris à la lettre, je lis dans "Le Duel" l'affrontement du littéraire, incarné par Feraud, et du réel, que D'Hubert imite si fidèlement. Que le meilleur gagne, et faute de mieux, le viable.
Le laboratoire littéraire est là pour poser le fragwürdig, que les laboratoires en sciences sociales se contentent du fraglich. Il n'y a que la fiction qui permet d'imposer à la réalité l'épreuve du littéraire. Dans des conditions de laboratoire, s'entend, c'est-à-dire en respectant les règles du genre expérimental, la première en est "Toute chose étant égal par ailleurs" ("all other things are equal").
Comme dans nombre d'expériences scientifiques, des résultats du "Duel" on a vite fait le tour, c'est la cuisine expérimentale qui en fait le prix. Pour découvrir l'effet du littéraire sur le réel, Conrad doit établir la littérarité de l'agent et la réalité du cobaye. Or telle est précisément la matrice expérimentale: le choc entre l'artefact et le naturel, le simple et le complexe.
"Le bon Dieu est dans le détail"? Nous sommes d'accord avec Aby Warburg que la grandeur de l'art réside dans le détail, pourtant Dieu, le terminus de l'imagination humaine, doit son incommensurabilité à l'absence de détail. L'homme créa la chose en soi à l'image d'un dieu téflon, à Lui rien ne colle, même pas "bon". En tant que fiction ultime, Dieu est l'idéaltype du personnage littéraire dont tous les autres ne sont que des pâles copies. Plus le personnage est simple, plus il ne fait, n'est que ça, plus il s'approche de l'Un et Indivisible, plus littéraire il est; et vice versa.
Comment établir la simplicité de Feraud et la complexité de D'Hubert? La principale recette est quantitative, bêtement quantitative: sur la centaine de pages de la nouvelle, quelque quatre-vint-dix accompagnent D'Hubert. Qui ajoute déduit, dit le Talmud. Sagesse millénaire: à moins de faire dans la litanie, et Conrad en avait horreur, lui qui en bon nouveau riche linguistique ne demandait qu'à étaler son luxueux vocabulaire, chaque mot serait déjà de trop, chaque mot, même juste, marquerait un but contre le camp de la chose en soi,
J'ouvre la bouche je suis en soldes.
D'Hubert a une soeur, un beau-frère, un milieu social, une fiancée, Feraud est un déraciné tout-terrain. D'Hubert pèse le pour et le contre, Feraud avance la tête la première. D'hubert est ironique: "Cette affaire lui a désespérément et déraisonnablement compliqué l'existence. Une absurdité de plus ou de moins dans son développement n'y changea rien - toute absurdité lui était de mauvais goût", Feraud est paranoïaque: "J'y ai pensé calmement. Je me rends compte qu'il me faut me débarrasser de cet intrigant. Voici qu'il s'est sournoisement glissé dans l'état-major du maréchal. C'est une provocation directe contre moi". Pour D'Hubert goûte au duel "comme une pincée d'épice dans un plat chaud. Il se rappela de sa saveur avec mélancolie. Il ne le testera plus", pour Feraud il sert de plat de résistance que la Grande histoire ne fait qu'assaisonner. Ridley Scott, qui en a tiré un film, l'a intitulé Les Duellistes, non pas parce que le titre Le Duel a déjà été coopté par Steven Spielberg, mais...; c'est leur faire trop d'honneur: D'Hubert n'est Duelliste que le temps des duels - dans une lettre à sa soeur il écrit: "Quoique tu puisse entendre par ailleurs, sois rassurée, ton frère qui t'aime n'est pas un duelliste", d'où sa longue l'amnésie: "J'ai oublié quelque chose. J'ai oublié jusqu'il y a une heure et demi que j'avais une affaire urgente d'honneur sur les bras", admet-il la veille de son mariage; Feraud seul n'usurpe pas ce titre de noblesse, même si lui aussi confesse une fois: "Je l'ai presque oublié", on a rarement fait mieux,
Même un Kafka n'était Kafka que deux heures par jour, Un Hamlet, deux heures tout court.
En somme, D'Hubert, homme en chair et en os, a une psychologie, alors que Feraud, personnage en voyelles et en consonnes, est pure surface: "Son incapacité mentale à appréhender la nature désespérée de son cas l'a sauvé du suicide. Il n'y pensa pas une fois. Il ne pensa à rien".
Conrad met en prise un homme en trois dimensions, comme vous et moi, et un être qui est en une, en bon scientifique, il injecte de la simplicité dans la complexité - on s'engage et on voit!
"How is one to refuse to be bitten by a dog that means to bite? It's impracticable". Dans la vie il n'y a pas de plus flagrante fallacie: un tel refus est praticable, pratiqué, vivement recommandé. Pourtant le lecteur fait comme si allait de soi la résignation de D'Hubert: "Vous ne savez pas à quel point ce duel m'est terrible. Et il n'y a pas d'échappatoire. C'est une fatalité".
L'autruche ne relève que le gant par elle tricoté -
en littérature, ce luxe n'est pas de mise; quand un chien enragé vous tombe dessus, vous répondez présent ou passez à la trappe.
D'Hubert n'a pas plus choisi son défi que Hamlet, ni était-il moins convaincu qu'il avait mieux à faire. Mais contrairement à son illustre prédécesseur, le premier des monomaniaques négatifs: Hamlet n'a fait qu'hésiter -, D'Hubert relève à chaque fois le gant aussitôt lancé. Du coup, la conscience de l'absurdité de l'affaire devient son pire allié. Etre à ce point conscient de ne pas être à sa place, de pouvoir autrement, forcément mine sa hargne avant et pendant les duels. Quand l'issue d'un d'eux lui offre l'occasion d'éradiquer le virus, les scrupules l'en empêchent, or le virus a la mémoire courte et la vie éternelle. Et même quand l'Histoire s'en charge, la monarchie restaurée ayant condamné Feraud à mort, D'Hubert le sauve en intervenant auprès de Fouché (confirmant ainsi sa réputation d'intrigant...) - quelque temps plus tard il a de nouveau son obligé (qui n'en savait rien il est vrai) sur le dos.
(S) Tout s'explique
Se battre en duel vingt ans durant est une monstruosité - un freak; suivre Napoléon d'Egypte en Russie ne l'est pas moins. Que fait l'homme devant le monstre? il cause,
Appeler un chat un chat n'est pas humain.
Les lèvres des deux officiers scellées, les causeurs étaient réduits à la spéculation. Les salons de la ville de garnison qui a vu le déclenchement des hostilités pullulent d'hypothèses. Un personnage ressemblant à un mouton avance la thèse d'une vieille querelle qui, à l'instar du cognac, ne peut que s'améliorer avec le temps - vu l'âge des jeunes lieutenants on l'écarte. Un sous-commissaire de l'Intendance y voit la manifestation de la transmigration de âmes, les deux ayant des comptes à régler d'une existence antérieures; et quoiqu'il développa ce thème "facétieusement, l'affaire fut si absurde que cette étrange explication paraissait somme toute plus raisonnable que toute autre". Mais c'est bien évidemment "Cherchez la femme" qui a fini par l'emporter - par défaut.
Ecoeuré par cette jacasserie, soucieux de protéger la réputation de son régiment, mais s'absolvant d'emblée de toute gratuite curiosité, le colonel de D'Hubert décide d'"aller au fond de l'affaire". D'Hubert cède presque à la tentation "to make a clean breast of the whole deadly absurdity". Mais au lieu d'une confession, il proclame: "Je n'avais pas le choix. Après tout, mon Colonel, ce fait est au fond même de l'affaire. Le reste n'est que détail". Le colonel repart satisfait, partout il annonce: "Je suis allé au fond de l'affaire... Ce n'est pas une bagatelle" - ce qui a octroyé le sceau de l'autorité au mystère entourant cette mortelle querelle.
D'un coup, le cordon ombilical est à jamais coupé entre l'effet et la cause, entre la surface et le fond, rien par la suite ne saurait les relier. Des années plus tard, D'Hubert aussi se convertit en glossateur: "J'imagine que c'est d'avoir été abandonné blessé dans le jardin (après leur premier duel) qui l'a ainsi monté contre moi" - il ne s'aperçoit pas du décalage entre l'explication et ce qu'elle est censée expliquer.
Mais quelle explication n'en souffrirait pas? S'il existait un consensus que le prétexte du duel fut futile, c'est que toute explication deviendrait prétexte futile quand comparée à ses prétendues conséquences,
N'offrez pas des béquilles à Carl Lewis.
(S) Il n'y a pas d'amour, juste des preuves d'amour
"L'homme qui n'a jamais aimé l'Empereur" - tel est le surnom que Feraud a gratifié D'Hubert, les vétérans de la Grande Armée l'ont volontiers adopté. Sept fois est-il ainsi stigmatisé dans la deuxième moitié du récit, le lecteur - et D'Hubert - ont tout le loisir de s'interroger: A-t-il vraiment aimé l'Empereur? sincèrement? profondément? de toute son âme?
Le doute n'est pas permis au sujet de Feraud, non pas parce qu'il est au-dessus de tout soupçon, mais parce qu'il est un être de surface - ou narré tel, cela revient au même. Mais le doute semble vitale dans le cas D'Hubert, tout de nuances. En dessinant les méandres de son âme, en enregistrant les moindres frémissements de sa conscience malheureuse, Conrad semble dire: Primauté aux intentions!
Grave erreur! La technique a beau être une sorte de proto-stream-of-consciousness, mais l'idéologie de Joseph Conrad, je dirai même sa religion, de Joseph Conrad, ne contient qu'un article de foi: L'action, rien que l'action!
"Personne ne réussit dans tout ce qu'il entreprend. En ce sens nous sommes tous des ratés. Le grand point est de ne pas échouer dans la mise en ordre et dans la mobilisation du courage dans l'effort de notre vie". Or rien ne nous distrait plus efficacement de l'effort de notre vie que l'auto-complaisance de la conscience. "Choisir est une folie", dit Kierkegaard; pour agir il faut s'aveugler; le libre arbitre consiste à aller au bout d'une idée alors qu'on aurait pu en avoir bien d'autres (Charles Renouvier).
Toute plongée est suspecte à cet égard. Révéler les dessus de l'affaire, dit D'Hubert, c'est s'ouvrir une sortie de secours. Il se confiera à son colonel, puis se cachera derrière: le Pourquoi? est l'antichambre de la couardise!
Depuis Hamlet, la psychologie est devenue la ceinture de chasteté des héros et anti-héros littéraires, l'alibi préfabriqué de l'inaction, pourquoi les mortels s'en priveraient? Le roman moderne fait semblant d'ignorer la nuance: Nous autres avons un complexe d'Oedipe, Oedipe a tué son père et couché avec sa mère; nous autres rêvons de la disparition du père, Jésus renie le sien qui insémine sa mère par procuration tout en la virginisant avant, pendant, après. Ce n'est pas la route de l'enfer qui est pavée des intentions, meilleurs et pires, mais la route du non-faire.
Dans le intentional fallacy ambiant, Joseph Conrad se distingue par une hiérarchie sans dérogation: Fais d'abord, on te sondera par ailleurs!,
Plus je vais au fond de moi-même moins je suis seul.
Dans l'ethos conradien, quand vient le moment d'agir, un homme se doit de se désolidariser de sa psychologie: "Le vrai courage consiste à affronter un danger odieux devant lequel reculent notre corps, notre âme et notre coeur". Jugé à l'étalon du FAIRE, qu'importe que D'Hubert ait une conscience aiguë de l'absurdité du Duel, qu'il aime ou n'aime pas l'Empereur; comble de l'ironie, Feraud, qui le savait irréprochable dans ses actions, le condamne au nom de la profondeur (le psychologisme infeste jusqu'aux monomaniaques). Ses humeurs n'ont pas plus de pertinence que celles du peuple d'Israël face au carctère arbitraire des six-cent-treize mitzvot bibliques, deux-cent-quarante-huit "Fais!" et trois-cent-soixante-cinq "Ne fais pas!". "Nous ferons et écouterons", lancent-ils à Moïse (Exode, XXIV:7) - nous ferons avant même d'écouter, dit une lecture, nous avons décidé de faire la volonté de Dieu, indépendamment du contenu de son contenu, dit la mienne; nous ferons, puis gloserons deux millénaires, dit l'histoire juive.
Qu'est-ce que la civilisation, sinon la mise en place millénaire d'un arsenal de ruses contre les forces majeures? Force majeure: qui ne fait qu'à sa tête, qui ne joue pas en fonction de l'adversaire, qui ne s'abat pas sur sa victime qu'après une étude de marché (marketing) - la force majeure est unilatérale.
De nos jours, deux paratonnerres s'illustrent par leur anesthésiante efficacité: la démocratie, alias le Grand Marché de la Tolérance et de la Complaisance, et la psychologie, prête à négocier avec Jack l'Eventreur et le Vésuve: Quel est ton problème? Et si on en causait?,
On peut toujours s'entendre, soyons sourds.
Pas en littérature: "La ténacité de ce Feraud, la terrible obstination de cette imbécile brute, lui est venue avec la puissance d'une implacable destinée". Et si l'Histoire avait obéi au même mécanisme, avant de succomber aux sirènes du suffrage universel, des mécanismes de défense et de la projection?
"Le Duel", essai de fiction historique, raconte en réalité deux histoires parallèles, celles de la collision entre le monolithe et l'hétéroclite. A chaque fois, c'est la chose en soi qui donne le ton: le "lunatique" rend dingue "un tempérament calme, un esprit pondéré", le Grand Homme fait dérailler l'Europe des Lumières. Tout ce passe comme si la normalité se serait abandonnée à la magie de la monomanie dans le cas de Feraud, de l'unicité dans le cas de l'Empereur.
Est-ce bien raisonnable, est-ce vraisemblable? Selon Conrad, l'unilatéralité serait contagieuse, elle serait un agent de simplification. Simplification: suspension volontaire de la complexité - définition calquée sur le célèbre "willing suspension of disbelief for the moment" en laquelle Coleridge voit l'essence de la fiction. Or la Deuxième Loi de la thermodynamique nous enseigne que tout système va vers toujours plus de complexité: qu'on lui injecte du simple ou du composé, du pur ou de l'impur, tout, absolument tout, accroîtra l'entropie.
Est-ce possible ne serait-ce que "for the moment"? Je suis décidé de le croire,
Suspendre: S'il n'y avait qu'un verbe;
mais "Le Duel" couvre une double suspension de la complexité qui dure vingt ans!
Plus que de l'histoire-fiction, Conrad fait dans la science-fiction, dans le noyau dur du genre: Time Machine. J'irai plus loin: la littérature est une gigantesque machine à remonter le Temps, à renverser la vapeur, à aller du complexe vers le simple, à combattre l'entropie, à dire notre utopie,
Que veut l'homme? vouloir, mais ne peut, Que fait l'homme? il veut bien.
"Mais tout ce temps il n'avait en tête qu'une personne, son adversaire, D'Hubert"
La Belle au Bois dormant: ne réveiller F. et D. que peu de temps avant un duel, I.e. le showing est à la simplicité, le telling à la complexité
Duel 1, la ville de garnison; Duel 2: en Silésie (204); Duel 3, aux environs de Lübeck (206); Duel 4: vingt après...
...un Hamlet, deux heures tout court
Ce qu'ils mijotent hors-scène sera résumé, pas montré
Le simple en tant que papier de tournesol
La littérature est une alchimie à l'envers, elle part du pur, qu'elle injecte à la réalité, espérant y faire des acolytes.
Shakespeare injecte du Iago, un simple rusé, dans la vie d'Othello, un simpleton compliqué.
Les Duellistes: car le cinéma aplani, il dénivelle les valeurs, le littéraire et le psychologique y sont également behavioristes