Une arène. Une foule que l'on devine avide de mort. Un combattant, et plusieurs adversaires. Un gong, pour sonner la fin du round. Des bookmakers.
Telle est la mise en scène qu'a choisie Daniel S. Milo, jadis historien (mais enseignant toujours à l'EHESS), philosophe (" La philosophie n'est pas une profession. Elle est une préoccupation.", affirme-t-il) et romancier pour nous faire assister au trop célèbre procès dans
La dernière mort de Socrate, pièce de théâtre qui pourrait être jouée (à ce jour, personne n'a osé), mais que l'on se réjouira de lire comme un dialogue philosophique, plus vif que ne l'est communément le genre.
Daniel Milo aime la boxe et Mohammed Ali : sans doute est-ce pour cela que sa parole danse, tournoyant en paradoxes qui frappent la raison paresseuse du lecteur/spectateur assoupi dans des certitudes empruntées, esquivant les attaques par des répliques—uppercut : "L'amant de la vérité est un ennuyeux, car son répertoire est aride" ou "Ne t'accepte jamais tel que tu es. Sois sélectif !" et : "Un homme n'est pas un chat : en retombant sur ses pattes, il se casse l'âme."
Je le sais, je ne peux rendre justice à la profondeur du texte en en isolant quelques phrases, coupées des mots accusateurs qui les ont précédés, et qu'elles réfutent, cinglantes ; je laisse l'exercice à l'amateur de citations, qui saura faire ample moisson de formules à resservir, Daniel Milo ne s'est pas abaissé à vêtir des habits de la comédie, ou du drame, un recueil d'aphorismes pour élèves de terminale – il nous livre une véritable oeuvre philosophique, dont la forme plaisante est un indice sur le fond.
Ici, nulle prétention de recréation de la réalité historique, nulle dissection du mythe, le Socrate de Daniel Milo ne se soucie que de vérité, prise comme un absolu, vérité évidemment dérangeante, et qui s'impose d'autant plus fortement qu'elle fait mine de rejeter l'esprit de sérieux, jusqu'à la mort – incluse.
Qui était Socrate ?
"Il n'est pas vraiment humain, dit le Comédien de Daniel Milo. Mais l'homme seul est à même d'accéder à un tel degré d'inhumanité."
Michel Desgranges
18.08.2006